jeudi 18 avril 2024 02:35

L’image réelle et imaginaire du Maroc dans l’art et la littérature

mercredi, 12 février 2020

L’espace « Agora » du pavillon du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) au salon du livre de Casablanca a abrité, mercredi 12 février 2020, une table-ronde sur « l’image réelle et imaginaire du Maroc dans l’art et la littérature ».

Abdelghani Dadès

Youssef Aït Hammou, chercheur en linguistique et sémiologie, Khalid Amine, président du Centre international des études de spectacle à Tanger, Fatima Hal, cheffe cuisinière marocaine et anthropologue, Samira Jamouchi, professeur chercheur en arts visuels en Belgique et Rachid Santaki, romancier et scénariste en France, sont intervenus à cette rencontre modérée par Abdelghani Dadès, membre du CCME.

Rachid Santaki

Rachid Santaki : la littérature marocaine doit transmettre notre richesse et notre histoire

L’écrivain franco-marocain affirme dans son intervention que les écrivains d’origine marocaine ont enrichi la littérature francophone par la diversité de leur culture, il cite des auteurs ayant été récompensés par le prix Goncourt comme Leila Slimani et Tahar Benjelloun qui « transportaient en eux leurs sources et leurs histoires marocaines », comme est le cas pour lui d’ailleurs qui « puise dans ses sources Marrakchies, sa double culture française et marocaine et sa réalité à Seine-Saint- Denis dans ses écritures ».

« Ce qui m’a ramené à l’écriture est profond, c’est une immersion dans ma propre histoire entre mes origines marocaines et mon quotidien français », poursuit Rachid Santaki expliquant que « la vision qu’on a du traitement du Maroc dans la littérature c’est celle d’écrits qui soulèvent des problèmes ou qui mettent en valeur des clichés mais nous devons sortir de ses stéréotypes car, c’est vrai que le Maroc est accueillant, que sa gastronomie est exceptionnelle mais il y a aussi une richesse et une histoire méconnues qu’il faudra transmettre à nos lecteurs qui ne connaissent pas ce pays ».

Khalid Amine

Khalid Amine : la contribution de l’immigration dans le développement du théâtre marocain

Dans son intervention, Khalid Amine rend hommage à « la première génération d’hommes de théâtre marocains ayant immigré qui ont contribué à l’évolution des styles et des courants du théâtre marocain » : « grâce à eux le théâtre marocain n’est pas resté figé et a côtoyé d’autres estrades théâtrales et d’autres réalités occidentales ». Des échanges qui ont « également permis d’attirer vers le Maroc plusieurs acteurs, notamment français, pour partager leurs productions et donc leurs cultures avec le public marocain ».

« Au fil des générations, les Marocains du monde ont produit des réalisations théâtrales qui transcendent les frontières. L’acteur en immigration, comme Mounir El Fatmi et bien d’autres, a permis de hisser la problématique de la migration, notamment maghrébine, au sein des estrades internationales », explique Khalid Amine.

Il distingue dans son exposé entre les productions de deux catégories d’acteurs en immigration, à savoir ceux qui sont nés et partis du Maroc et ceux qui ont évolué depuis leur plus jeune âge en Occident, notamment en France. « Cette deuxième catégorie est intrigante car c’est la plus inspirée, ayant du recul par rapport à sa culture d’origine, elle a pu présenter l’art dans sa dimension humaine qui surpasse les frontières et les ethnies », faisant de leurs « productions une zone où se mélangent les cultures orientales et occidentales qui n’aurait pas pu être créée sans l’immigration ».

Samira Jamouchi

Samira Jamouchi : le Maroc, une source d’inspiration inépuisable en Occident

Samira Jamouchi pense, quant à elle, que toutes « les sociétés dans lesquelles nous vivons ne sont pas permanentes mais changeantes selon le développement de la population, où le travail de l’artiste est de reproduire nos réalités ou de les recréer en s’inspirant des espaces relationnelles ». Elle explique que « quelque soit où nous évoluons, nous vivons dans l’espace euclidien qui est mesurable et l’espace topologique qui est relationnel et affectif »

Elle présente dans son exposé « le Maroc est un espace d’expériences diverses inspirant plusieurs artistes étrangers ». Elle cite alors des artistes comme Delacroix, considéré comme le représentant de l’orientalisme qui fait référence au Maroc comme une source inépuisable d’inspiration dans son savoir-vivre, le décrivant comme une terre d’hospitalité et de spectacles urbains. Elle évoque également le peintre Jacques Azema, qui exploite les couleurs et les ombres du quotidien marocain et Yves-saint Laurent qui s’est approprié la culture de la ville de Marrakech pour mettre en oeuvre « ses célèbres costumes et pour créer ses modèles ». Parmi les artistes scandinaves inspirés par le Maroc elle cite Thorbjørn Egner, dramaturge et illustrateur norvégien, « qui s’est épris dans ses écrits de la ville d’Essaouira ».

Dans son travail, Samira Jamouchi explore à travers l’écriture et la photographie la migration marocaine et africaine vers l’Europe et « ce cimetière qu’est devenu le détroit qui sépare les deux continents » d’une part et l’installation de ressortissants étrangers au Maroc d’autre part. « Des déplacements appelés « déménagement » quand ils sont du nord vers le sud et « immigration ou fuite » quand ils sont du sud vers le nord », déplore la chercheuse marocaine. Elle présente donc un travail fait, entre autres, sur la base d’interviews avec des Français installés au Maroc, montrant que « le désir de partir fait partie de l’être humain qui tend par le déplacement à découvrir d’autres réalités du monde dans lequel nous vivons ».

Fatima Hal

Fatima Hal : la cuisine fédère les peuples autour du « sens »

En tant qu’anthropologue et cuisinière, Fatiha Hal explique que « dans des circonstances marquées par la violence sur un fond politique congestionné, la gastronomie peut fédérer les populations autour du sens ». Elle cite à cet effet sa participation à la conférence « Juifs et Musulmans, la cuisine du lien », organisée à Jérusalem en 2019.

« La gastronomie touche à la sociologie et à l’économie en plus de la culture. Elle est souvent liée au folklore mais ce lien est bien plus profond car il marque nos liens et nos échanges avec les peuples du monde », explique Fatima Hal. D’ailleurs, poursuit-elle « les premiers verres à thé ont été construits par la cristallerie française Saint-Louis, c’est dire à quel point un simple rituel peut marquer une civilisation ». Ces échanges entre les peuples sont témoignés dans la littérature de plusieurs auteurs occidentaux, notamment français comme Pierre Loti.

« La gastronomie marocaine est un trésor et un patrimoine qui témoigne de la diversité de la culture et de la civilisation marocaines et qui n’a pas été investi par les chercheurs et académiciens », conclut-elle.

Youssef Aït Hammou

Youssef Aït Hammou : l’image du Maroc dans le cinéma occidental est déconnectée de la réalité

L’intervention du professeur-chercheur Youssef Aït Hammou s’est intéressée à l’image du Maroc véhiculée dans le cinéma occidental. « Nous vivons dans toutes les sociétés une guerre des images et des imaginaires, c’est pourquoi poser donc la question de la représentation du Maroc à l’étranger, notamment dans le cinéma qui est un outil de la mondialisation, est une priorité ». Il distingue pour comprendre l’image du Maroc entre trois paradigmes, à savoir « le paradigme de l’epistémique, le paradigme esthétique et le paradigme de l’éthique ».

Il explique ainsi que pour vivre ensemble, « il faut construire des ponts et non des murs » et que le « meilleur moyen de lier les peuples est l’art ». Dans son exposé, il fait un focus sur les obstacles qui « limitent l’impact de la culture dans le rapprochement des peuples comme le stéréotype qui se numérise et neutralise toute reference à la réalité ». « Dans le cinéma occidental, qui s’est inspiré de l’orientalisme pictural et de la propagande coloniale, continue de propager des stéréotypes créées de toute pièce par les industries du spectacle », affirme Youssef Aït Hammou.

Selon lui, le Maroc est l’une des plus grandes victimes des clichés dégradants dans le cinéma occidental où les industries réduisent « la référence au Royaume à une mise en oeuvre de folklore et de cérémonies orientales », un cliché que « le cinéma marocain ne tente pas efficacement de corriger ». Il cite à titre d’ex emploie des films comme « Patton » où le « Maroc filmé est un pays imaginaire, fictif qui n’a aucun rapport avec sa réalité complexe ».

En théorie, « la métonymie et la métaphore sont les figures de styles les plus présentes dans l’image du Maroc qui est filmé pour représenter la Somalie ou l’Égypte des pharaons, réduit à un désert, avec du sable et du soleil impliquant l’exclusion de sa biodiversité ». Tout le patrimoine immatériel du Maroc est réduit à la Place « Jamaâ el fna » et aux cérémonies populaire, de même que la diversité ethnique ou l’humain est réduit à un « être farouche ». L’image du Maroc est, en ces termes, liée au macro-clichés sur l’Afrique où « le mal est figuré par le noir ».

Pour corriger cette image, « pour le moins réductrice et dégradante, le Maroc a besoin de se doter d’un observatoire critique de collecte des images, pouvoir disposer des images qui ont été produites sur sa culture dans les fonds documentaires et cinématographiques étrangers et fabriquer des contre-stéréotypes en encourageant les artistes marocains vivant à l’étranger afin décoloniser l’imaginaire qui ne prend pas en charge la dimension humaine de l’individu marocain », conclut Youssef Aït Hammou.

CCME

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