Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) a organisé, vendredi 25 avril 2025 au Salon international de l’édition et du livre à Rabat, une cérémonie-débat pour rendre hommage à Lalla Khiti Amina Benhachem Alaoui, première journaliste marocaine à la Radiotélévision belge. À l’occasion de cet hommage, Hassan Bousetta chercheur à l’Université de Liège, Sarra El Massaoudi, journaliste de Belgique, Karim Ibourki, Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel en Belgique, Claire Frachon, journaliste de France et les enfants de Lalla Khiti, Dounia et Safaa-Eddine Taghian, ont animé une table-ronde sur son parcours, modérée par Merouane Touali, consultant en communication et en relations publiques.
Lalla Khiti Amina Benhachem Alaoui est une journaliste belgo-marocaine reconnue comme la première journaliste marocaine à travailler à la Radiotélévision belge francophone (RTBF), où elle a débuté en 1973. Elle a animé et produit des émissions destinées à la communauté marocaine et aux migrants arabophones en Belgique, notamment l’émission « Ileikoum » puis « Sindbad » et « 1001 cultures », qui abordaient des thèmes culturels, sociaux et politiques liés à l’immigration.
Témoignant de l’amitié et des réalisations qui les ont liées, la journaliste française Claire Frachon organisait, au début des années 90, une conférence pour réunir les journalistes et producteurs européens quand elle a rencontré « le couple mythique que formaient Lalla Khiti et son mari ».
Dans son livre Télévisions d’Europe et immigration, elle avait fait un benchmark des traitements de la diversité et de l’immigration dans les médias européens pour « montrer qu’à l’époque en France il n’y avait aucune émission sur ces sujets-là ».
Pendant les émeutes de 1991 en Belgique, « Sinbad », l’émission de Lalla Khiti, s’était démarquée parce qu’elle « montrait des initiatives et des trajectoires ». Grâce aussi à son mari, Merhdad Taghian, qui était réalisateur, leurs reportages ont suscité une prise de conscience qui a fait qu’on leur donne plus d’espace, un meilleur timing et un sous-titrage en français. A cette période, les émissions de Lalla Khiti Benhachem passaient aussi sur TV5.
Intervenant à cette rencontre, Hassan Bousetta affirme que le binôme que formaient Lalla Khiti et son mari est une figure centrale de l’histoire l’immigration marocaine en Belgique et a façonné une représentation de l’immigré dans le service public.
Ils sont aussi un message d’encouragement et un modèle de réussite pour la jeunesse qui commence dans le métier et « qui se pose des questions qui ne sont pas forcément les mêmes ou qui ne sont pas formulées dans les mêmes termes mais qui renvoient à une même problématique, celle de la difficulté d’accès à la parole publique et à la représentation dans les médias ».
Lalla Khiti avait percé dans la Belgique des années 70 qui considérait encore que l’immigration est un phénomène temporaire d’une main d’œuvre d’appoint. L’immigration marocaine était aussi dans un tournant, après la signature de la Convention de 1964, on assistait au début du regroupement familial mais aussi à une télévision publique à son apogée.
Le travail et la présence de Khiti et Mehrdad sont alors à la fois enchâssés dans l’histoire des médias, dans celle de l’immigration, celle de la Belgique et du Maroc et dans l’histoire de toutes les trajectoires militantes.
C’est pourquoi le parcours de Lalla Khiti Amina Benhachem Alaoui continue d’inspirer les jeunes générations de journaliste, comme Sarra El Massaoudi, productrice du podcast « nos héritages » qui dit s’inscrire dans la même filiation et « poursuivre le même travail de documentation, d’archivage des réalités et de l’histoire de nos communautés à la fois belgo-marocaines et racisées en général ».
A cet effet, la journaliste a créé « nos héritages » pour deux raisons principales. La première est que les jeunes de sa génération ne connaissent pas si bien le parcours de leurs parents et grands-parents. Elle a donc créé un « espace bienveillant » pour que les premières générations puissent raconter leurs histoires. La deuxième raison est de contribuer à combler le manque de diversité dans l’espace médiatique en Belgique qui ne « nous permet de raconter nos histoires correctement ».
L’objectif est de transmettre les histoires qu’elle documente entre générations et entre communautés par le biais de ces podcasts mais aussi à travers des « rencontres physiques qui réunissent des fois plus de 200 personnes, toutes générations confondues », qui rendent visible le travail et la place des femmes et des personnes minorisées dans l’espace publique.
Pour Karim Ibourki, Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel en Belgique, les reportages de Lalla Khiti étaient le premiers à montrer à la fois aux Belges francophones et aux Marocains qu’ils allaient faire partie de la même société. « L’histoire n’est évidemment pas une marche en avant, elle s’est faite de heurts et de blessures, mais au moins c’était la création d’un lien ».
D’après ce que « nous mesurons par le baromètre de l’égalité et de la diversité, la représentation reste compliquée dans ces pays », affirme-t-il, ajoutant qu’en Belgique francophone, « on continue encore de véhiculer certains stéréotypes et les médias ne parviennent toujours pas à constituer le reflet de la société et restent cette image élitiste ». Il y a même aujourd’hui, selon lui, « une ségrégation des publics qui pouvaient se retrouver dans les émissions que présentaient Lalla Khiti Benhachem et son mari qui rassemblaient les populations belges ».
Présents à cette rencontre, ses enfants Dounia et Safaa-Eddine Taghian se disent tous deux fiers de la carrière de leur mère, des valeurs de l’ouverture, de respect de l’autre et de la différence qu’elle leur a inculqués et de l’héritage marocain qu’elle leur a transmis.
Ils ont lu lors de cette de cette rencontre un message de leur mère. « Être la première journaliste d’origine marocaine à la RTBF a été une responsabilité et une chance », dit-elle : dès le début de sa carrière, elle avait conçu des émissions en arabe destinées à la première génération de Marocains venus en Belgique dans le cadre de la Convention de 1964. « Ces femmes et hommes isolés, parfois désorientés qui avaient besoin d’être informés, accompagnés et reconnus ».
Avec le temps, ses émissions se sont adaptées aux évolutions de la communauté. Elles se sont adressées en français à une jeunesse née en Belgique qui vivait entre plusieurs cultures, « parfois dans un entre-deux difficile » et ont lutté contre « l’essentialisation, les images toutes faites et la peur de l’autre ». Elle résume son travail en un mot, « un pont » entre les cultures, entre le Maroc et la Belgique, entre les générations, entre ce que l’on est et ce que l’on devient.
Venue d’Errachidia, Lalla Saida, sœur cadette de Lalla Khiti Amina Benhachem Alaoui, a prononcé un mot au nom de sa famille à l’occasion de cette rencontre qui est « une célébration de la culture, une victoire pour la prise de conscience et un renouvellement de l’espoir d’un avenir plus lumineux ».
L’intellectuel, dit-elle, n’est pas seulement celui qui est en possession de la connaissance mais celui qui la transforme en responsabilité envers ses causes, envers sa société et envers l’humain où qu’il soit. « Nous devons, à l’ère de la rapidité, préserver notre pensée de la simplification et nos valeurs de la dégradation ».
Le travail de Lalla Khiti Benhachem a accompagné et reflété l’histoire et les transformations de l’immigration marocaine en Belgique sur plusieurs décennies avant sa retraite en 2010. C’est la deuxième fois que le CCME la met à l’honneur pour pour son parcours exceptionnel et son rôle pionnier dans les médias belges. La première fois avait eu lieu en 2010 à Bruxelles.