Genève – Le tollé diplomatique suscité par le vote suisse anti-immigration a, contre toute attente, pris l’allure d’une crise ouverte entre Bruxelles et Berne, au pied du mur devant les réactions crispées de l’UE sur des secteurs porteurs pour son économie.
Après une succession de mises en garde et de regrets la semaine dernière, la Commission européenne a décidé de frapper fort en représailles directement au refus du gouvernement helvétique d’étendre à la Croatie, dernière arrivée dans l’Union, le libre accès à son marché du travail.
Tout en rejetant « toute solution bricolée » en allusion aux quotas d’immigrés que prône la droite populiste, à l’origine du référendum du 9 février, l’UE a aussitôt mis à exécution sa menace de geler la participation suisse aux programmes de recherche « Horizon 2020″ et d’études à l’étranger « Erasmus ».
Pis encore, l’exécutif européen a suspendu les négociations sur un accord bilatéral dans le secteur vital de l’électricité, pourtant en phase finale, et a prévenu que les entreprises helvétiques pourraient se voir dresser des barrières à leur accès au marché communautaire.
« L’accès des entreprises suisses au marché commun est en danger. Les conséquences seront potentiellement graves pour la Suisse », a averti l’ambassadeur de l’UE en Suisse, Richard Jones.
Pragmatique, le président suisse, Didier Burkhalter s’est envolé mardi à Berlin où il a sollicité les bons offices de la chancelière Angela Merkel, dont le ton apaisé incite les responsables helvétiques à y voir le seul partenaire en mesure de faire contrepoids à Bruxelles.
Et comme pour rassurer les voisins, M. Burkhalter n’a pas manqué d’affirmer que « les accords de libre-circulation avec l’Union européenne ne sont pas directement remis en cause », mais sans fournir plus de précisions.
De fait, le texte voté le 9 février prévoit le rétablissement de quotas et de contingents pour les étrangers, les frontaliers et les demandeurs d’asile en fonction des besoins et des possibilités du pays. Ce système abandonné en 2007 se traduit par d’interminables tracasseries administratives, fustigées par les employeurs.
La Suisse est liée à Bruxelles par une série d’accords bilatéraux signés en 1999 dans les domaines des transports, de la recherche, de l’agriculture, des marchés publics, de la formation et de la libre-circulation. Si ce dernier est remis en cause, tous les autres accords deviendront à leur tour caducs.
L’autre pilier du partenariat avec l’UE, à savoir l’adhésion à l’espace Schengen abolissant les frontières, semble plus que jamais être en péril, comme l’a affirmé le président de la commission européenne, José Manuel Barroso pour qui « le principe non-négociable de libre-circulation reste un préalable à toute la coopération bilatérale ».
Maillon vraisemblablement le plus faible du partenariat helvético-européen, les patrons d’entreprises suisses dénoncent aussi bien l' »irresponsable » initiative anti-immigration de l’extrême droite que « les réactions hâtives et contreproductives » de Bruxelles.
« L’UE n’est pas prête à prolonger ou à conclure d’importants accords alors que les modalités de mise en oeuvre de l’initiative contre l’immigration de masse ne sont pas encore connues », a déploré la fédération dans un communiqué, estimant que « les mesures hâtives ne sont pas la bonne option ».
En chiffres, l’exclusion de la Suisse du plus grand programme mondial de recherche, « Horizon 2020″, entraînerait un manque à gagner de pas moins de 10 mille emplois pour l’économie helvétique, selon des estimations officielles.
D’après le géant de la finance Credit Suisse, la limitation de l’immigration européenne dans le pays pourrait lui coûter jusqu’à 80.000 emplois sur trois ans.
« Les répercussions économiques du référendum sont encore difficiles à évaluer, mais il crée un climat d’incertitude pour les entreprises », souligne le numéro deux bancaire du pays.
En 2013, les étrangers représentaient 23,5 pc (1,88 million de personnes) de la population en Suisse. Avant les accords de libre-circulation avec l’UE, il y avait environ 20 pc d’étrangers dans le pays. Actuellement, 1,25 million d’entre eux sont issus de l’UE-27 ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Les Italiens et les Allemands sont les plus nombreux, avec respectivement 291.000 et 284.200 ressortissants, suivis par les Portugais (237.000) et les Français (105.000).
Par Abdellah Chahboun (MAP)