« Écritures, contexte et sociétés » est la première conférence de l’axe « écritures féminines au Maroc et dans l’immigration » du programme du CCME au Salon de l’édition et du livre à Rabat. Samira El Ayachi, romancière franco-marocaine, Fatiha Saidi, écrivaine et femme politique belgo-marocaine et Rim Battal, écrivaine et poète franco-marocaine ont répondu aux questions de Younès Ajarrai, acteur culturel et commissaire de plusieurs expositions et festivals dont celui du livre africain de Marrakech.   

Dans leurs interventions, ces écrivaines expliquent que l’écriture n’est pas uniquement un moyen d’expression qui permet de communiquer ou de structurer sa pensée mais peut être un moyen de panser les plaies du passé, de s’insurger contre l’injustice, de s’affirmer en société ou de puiser dans le passé pour mieux se connaître et se faire connaître.

S’exprimant sur les raisons qui l’ont poussé à l’écriture, Fatiha Saidi a souligné que quitter la vie politique l’a mise dans un « état d’urgence » d’écrire dans le contexte de la migration, changeant sa position d’objet d’écriture en acteur d’écriture, écrivant sur elle-même et racontant sa propre histoire.

Pour elle, l’écriture a été une sorte de thérapie lui permettant d’extérioriser des émotions sur des sujets traumatisants, que ce soit l’expulsion des Marocains d’Algérie, car elle appartient à une famille expulsée d’Algérie dans les années 1970, ou la question du mariage forcé, dont elle a elle-même été victime à l’âge de dix-huit ans. L’écriture et la littérature ont été pour elle un moyen de panser ces cicatrices, et lui ont permis par la suite de s’orienter et de s’ouvrir à l’autre.

Elle explique que dans son livre, Échos de la mémoire sur les montagnes du Rif, traduit en arabe l’année dernière et publié par le CCME, où elle raconte les trajectoires de femmes du Rif qu’elle a rencontrées lors du tremblement de terre d’Al Hoceima,  ou son ouvrage J’ai deux amours, publié cette année, dans lequel elle a choisi de mettre à l’honneur les écrivains marocains de Belgique, son but a toujours été de transmettre la mémoire aux nouvelles générations, dans un souci de la préserver surtout dans un contexte migratoire.

Pour Rim Battal, l’écriture exprime une lutte, celle du rejet de la tutelle de la société et celle de la famille, qui est parfois destructrice pour les femmes et qui laisse dans leur mémoire et esprit des blessures inguérissables.

Dans son nouveau roman Je me regarderai dans les yeux, elle tente à travers le personnage principal, une adolescente à qui l’on a demandé d’apporter un certificat de virginité uniquement parce qu’elle a été vue en train de fumer une cigarette, d’analyser les mécanismes sur lesquels repose le système patriarcal de tutelle, qui utilise les coutumes et les mœurs pour imposer son emprise sur la société. Dans ce roman, l’auteure dit vouloir mettre en lumière la souffrance de toutes les femmes qui ont subi la violence domestique, qui devient une extension de la violence au sein de la société.

De son côté, Nesrine Slaoui, affirme que l’écriture, en plus d’être un moyen d’éviter les traumatismes, est surtout une décision politique pour les femmes, en particulier dans le contexte de la migration, qui les aide à raconter leur histoire et à parler de certains tabous qui ne peuvent être abordés dans un cadre familial ou sociétal.

Pour elle, écrire permet aussi de se sentir en sécurité car « il y a des stéréotypes et des préjugés racistes qui nous empêchent d’exprimer la vérité de ce que nous vivons en tant que femmes, et l’écriture nous permet de sortir de cet “invisible” et d’entrer dans le récit féministe », explique-t-elle.

Pour sa part, Samira El Ayachi a mis en avant l’importance du contexte dans tout processus de création. Ayant grandi dans une région froide du nord de la France, la bibliothèque municipale était son seul refuge, ce qui a inconsciemment influencé son expérience. 

Dans ses ouvrages, elle a écrit pour répondre à des questions qui la préoccupait. Dans Quarante jours après ma mort (éditions de l’Aube, 2013), Samira Ayachi a tenté de répondre à la question « Qui es-tu ? » et d’explorer les complexités et les contradictions de l’identité, en particulier pour les générations d’immigrés.

Son roman Le ventre des hommes (éditions de l’Aube-2013), retrace le parcours de sa famille venue d’une région reculée du sud du Maroc pour travailler dans les mines de charbon du nord de la France. Elle raconte l’histoire de son père qu’il ne lui a jamais racontée et qui incarne la souffrance de 70 000 mineurs de charbon marocains travaillant sans statut légal et sans égalité de droits avec les autres nationalités.

« Ce qui m’a inspiré dans cette histoire, c’est que les travailleurs ont utilisé tous les moyens d’expression, dans un contexte de répression, pour rejeter la discrimination dont ils étaient victimes et revendiquer leurs droits », explique Ayachi.

Exit mobile version