Historiens et académiciens discutent l’image du Maroc en Europe

dimanche, 09 février 2020

L’espace « Les rendez-vous de l’Agora » du pavillon du CCME au Salon du livre de Casablanca, a abrité, dimanche 9 février 2020, une table-ronde sur l’ « image du Maroc et de sa culture en Europe : regards croisés géographiques et interdisciplinaires ». Peggy Derder, historienne spécialisée en immigration, Rahime Hajji, sociologue et professeur de méthodes empiriques à l’Université des sciences appliquées Magdeburg-Stendal en Allemagne, Mohamed Boundi, docteur en sociologie et sciences de la communication de l'Université Complutense de Madrid et Samira El Kandoussi, diplômée de l'Ecole de journalisme d'Utrecht aux Pays-Bas, sont intervenus dans cette ronde-ronde modérée par Mokhtar Ferdaoussi, avocat en France et membre du CCME.

Mohamed Boundi

Mohamed Boundi : le Maroc dans l’opinion publique espagnole

Selon M. Boundi, l’intérêt de l’opinion publique espagnole à l’égard du Maroc se manifeste à travers le nombre des articles de presse et des productions audiovisuelles et cinématographies qui ont contribué à l’ancrage des stéréotypes et des préjugés gardés dans l’imaginaire collectif.

Dans la mémoire collective espagnolle, le « moro », cet l’anti espagnol par antonomase, continue d’exister et d’attiser les passions. Les écrivains d’après la Guerre de Tétouan ont trouvé dans ces stéréotypes repris dans les contes populaires des sources d’inspiration pour leurs écrits qui considéraient leur voisin du sud archaïque et de deuxième catégorie par rapport à l’Espagne.

Cette image, considérée comme un résidu de l’histoire entre les deux peuples, trouve encore des échos, certes moins importants que par le passé, dans les discours politiques et médiatiques. Depuis la marche verte, l’image du Maroc dans les médias espagnols évolue selon les tensions des relations entre les deux pays qui ont traversé bien des turbulences. Il convient toutefois d’affirmer que les médias s’intéressent plus au fait politique et social qui mettent en valeur les traits identitaires spécifiques qu’à la culture ou à la valeur ajoutée et contribution des immigrés marocain à la prospérité du pays d’accueil.

Depuis 2008, une nouvelle ère a commencé, caractérisé par le rapprochement entre les gouvernements des deux pays, mettant en valeur les acquis d’un état de droit qui engage bien des réformes pour sa modernisation. Une nouvelle génération d’intellectuels espagnols décortiquent ses relations traversées par des tensions qui s’apaisent grâce à l’activisme de la société civile espagnole qui connaît de plus en plus l’implication des Marocains et à la coopération des deux pays de plus en plus renforcée notamment pour lutter contre l’immigration clandestine.

Samira El Kandoussi

Samira El Kandoussi : image des Marocains dans les médias hollandais

Riche d’une vingtaine d’expérience dans les médias hollandais, Salira Kandoussi affirme que l’image du Maroc s’est développée depuis sa jeunesse en regardant la télévision qui pouvait être négative envers sa communauté. « Il y a 400.000 Marocains aux Pays-Bas. On parle souvent de communauté marocaine mais selon moi elle n’existe pas, nous sommes simplement un groupe d’individus qui sont différents, comme d’ailleurs plusieurs autres groupes qui font la richesse des Pays-Bas ».

« Je n’ai aucune notion sur le radicalisme parce que selon moi, il n’est pas collé à l’identité marocaine, je sais juste que des personnes comme Ahmed Boutaleb ou Ahmed Marcouch ont réalisé des accomplissements pour leur pays d’accueil et d’autres représentent les Pays-Bas dans tous les domaines dans l’économie ou la culture », poursuit-elle.

Dans les médias c’est sûrement moins positif, dans un tweet la semaine passée par exemple, un politicien invite à se méfier des Marocains et de sauver le pays de ses nouveaux arrivants, il a fini par s’excuser mais l’impact avait bien été ressenti auprès des citoyens. Les marocains ont l’image ont l’image d’avoir des cols en fourrure harcelant les femmes dans les rues sur une moto mais nous voyons récemment des campagnes de publicité avec les Marocains comme composante essentielle de la société hollandaise.

Je travaille quotidiennement pour changer cette image mais j’ai compris que le vrai travail qui doit être mener c’est de sensibiliser au harcèlement exercé par les médias et de consolider nos connaissances pour avoir un esprit critique et comprendre qu’un journaliste ne peut pas être objectif et neutre pour des raisons simplement commerciales. On doit être capable de comprendre que ce qu’on voit est l’opinion de mentor derrière cette structure et non la réalité.

Mon message aujourd’hui dans ce panel au Maroc c’est de dire à toutes les communautés de faire valoir leur culture et de comprendre que l’opinion de l’autre ne peut en aucun cas affecter notre réalité, celle que nous contribuons tous les jours au rayonnement de nos cultures d’accueil et d’origine.

Peggy Derder

Peggy Derder : l’image des jeunes générations d’immigrés en France

L’immigration marocaine en France ne date pas d’après l’indépendance mais de plus d’un siècle, avant même le protectorat. La première guerre mondiale a mobilisé des soldats marocains dans les combats, les premiers ont été renvoyés au Maroc en 1918 pour relancer le recrutement pour la reconstruction de la France.

L’après 1955 a marqué une accélération de cette immigration, celles d’hommes jeunes et seuls qui partent pour des raisons économiques en tant que main d’œuvre. L’image que renvoie cette immigration est commune entre les immigrés marocains, algériens et tunisiens. Après le choc pétrolier de 1973, on note une immigration familiale et féminine vers la France. Après 1975, il y a 148.000 femmes qui arrivent sur le sol français.
Aujourd’hui, on dénombre 1,3 millions de Marocains en France et si l’on se fie à Pierre Vermeren, si l’on inclut toutes les catégories présentes en France, on peut compter 2,5 millions individus d’origine marocaine. Les nouvelles générations marocaines en France sont toutefois nettement mieux diplômés, extrêmement diversifiées et sont en ce sens capable de balayer les stéréotypes sur les premières générations d’immigrés.

La première enquête sociologique d’envergure sur les Marocains de France n’a été réalisée qu’en 2008, elle montre que l’image des jeunes générations puise son origine depuis 1980 jusqu’à la marche des beurs. Elle montre aussi que le poids de l’histoire coloniale reste extrêmement fort, qu’il pèse sur l’imaginaire collectif des Français et que l’on associe la Guerre d’Algérie à toutes les communautés maghrébines.

Selon l’historienne, la marche pour l’égalité a marqué les revendications aux droits de citoyenneté française des jeunes issus de l’immigration. La valorisation de cette double appartenance a éveillé les mouvements d’extrême-droite qui voulaient présenter ces jeunes comme des ennemies de l’intérieur et une menace pour le nationalisme. Ceci aurait, selon Peggy Derder, « nourri les stéréotypes sur l’immigration en l’associant à la criminalité, à la délinquance et à l’échec scolaire ». Des stéréotypes qui ont des effets violents sur les nouvelles générations notamment dans l’accès au logement et à l’emploi.

Rahim Hajji

Rahim Hajji : perceptions de l’immigration marocaine en Allemagne

La situation des Marocains en Allemagne est différente des cas précédemment cités, selon le sociologue. Il expose dans un premier temps l’histoire de l’immigration marocaine en Allemagne, puis de la condition des immigrés marocains et de leur image dans les médias allemands.

En 1963, l’Allemagne et le Maroc signent une convention coopération pour la main d’œuvre. Il d’agit d’une immigration ouvrière qui s’est installée et a fondé des familles. Aujourd’hui, 160.000 marocains vivent en Allemagne, ce qui signifie que sur 1000 Allemands, deux sont d’origine marocaine. Si les hommes constituaient presque 100% des immigrés marocains en Allemagne, on note que leur proportion n’est plus que de 57% entre 2000 et 2009.

Nous constatons qu’après le regroupement familial, les Marocains sont de plus en plus scolarisés, 40% d’entre eux sont aujourd’hui diplômés d’universités et écoles supérieures. Les caractéristiques de la jeunesse marocaine en Allemagne ne sont pas présentes dans les médias allemands mais il convient de noter que « d’autres communautés musulmanes comme l’iranienne par exemple, réussit autant à l’école que les Allemands et que les Marocains viennent se classer bien derrière ».

Il a également soulevé le problème du chômage, « logiquement lié à la réussite scolaire et universitaire ». On note 7% de chômage dans la population générale en Allemagne et 23% au sein de la communauté marocaine sachant que 3 Marocains sur 10 vivent sous le seuil de la pauvreté mais « malgré ses données, les Marocains ont de plus accès à la nationalité allemande ».
Concernant l’image des Marocains dans les médias, « il y a certes certains d’entre eux qui ont réussi en tant que footballeurs, comédiens ou médecins mais il y a aussi l’autre face qui les présente comme des faiseurs de trouble ». Il note toutefois que « l’image de la femme est plutôt meilleure que celles des hommes, puisque leur situation a évolué de femme au foyer ne faisant pas beaucoup parler d’elle à celles de modèles de réussite dans la société allemande ».

Afin d’améliorer cette image, le sociologue invite les acteurs marocains à s’investir dans la société civile et les médias afin soutenir la coopération entre les deux pays pour faire valoir leur apport dans les deux sociétés.

CCME

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