samedi 23 novembre 2024 20:37

Artistes et activistes culturels gisant sur la plage de Rabat pour Aylan

«Nous nous sommes allongés, visage et oreille contre le sable pour écouter la voix d’Aylan nous dire : réveille-toi humanité. Criez et dites que je voulais vivre en tant qu’enfant libre dans mon pays, sans fuir parce qu’il y a la guerre et le terrorisme».

Très émue, l’actrice Latefa Ahrare fond en larmes. Trop plein d’émotion,  douleur indicible et image insoutenable du corps frêle d’un petit garçon échoué sur le bord d’une plage le 2 septembre courant. La photo d’Aylan, cet enfant syrien de 3 ans, a fait le tour du monde pour devenir le symbole du drame de la migration.  Sous le choc, la communauté internationale se mobilise, convoque des sommets, prend des mesures.

A Rabat, l’indignation s’est faite action et performance artistique à l’initiative de la très engagée Latefa Ahrare.  Ne pas se taire, réagir, secouer les consciences et réveiller l’humain en nous qui ne devrait plus jamais garder les yeux fermés devant l’horreur. Dans l’urgence, parce que l’urgence, ce sont aussi des milliers de vies –et d’enfants- qui se mettent en danger tous les jours dans des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée, la mare nostrum devenue cimetière.

La comédienne prend langue avec des artistes, des activistes culturels, des journalistes pour organiser une performance artistique. Il s’agit, leur explique-t-elle, de reconstituer à l’identique la scène, les éléments de la photo d’Aylan, sans vie, échoué en bord de mer.

La nouvelle va très vite. Les organisateurs sont tout à la préparation de leur action coup de poing. Lundi 7 septembre, ils sont une trentaine sur la plage de Rabat, à proximité de la muraille des Oudayas. La consigne est respectée. Tous et toutes portent exactement ce que portait le petit Aylan : un t-shirt rouge  et un bermuda bleu.  Artistes, journalistes, acteurs culturels sont allongés, visage contre le sable.

Ils sont inertes. Ils ne bougent pas, comme échoués sur la plage des Oudayas. Comme Aylan Kurdi  échoué sur une plage de Turquie, mort noyé comme son frère Ghaleb, 5 ans, et leur mère alors que sa famille tentait  de rejoindre l'île grecque de Kos.

Leur vie s’est arrêtée  brutalement devant l’une de ces portes d'entrée vers l'Union européenne pour ceux et celles qui fuient la sale guerre en Syrie.

En 2015, 2800 migrants sont morts ou portés disparus en essayant de traverser la Méditerranée.
Latefa Ahrare a l’habitude des performances artistiques, surtout celles qui dérangent, remuent, interrogent. Ce lundi, elle craque. Des larmes inondent son visage. Après ce rassemblement dont elle est l’une des organisatrices, plus rien ne sera comme avant. A l’AFP, elle lâche dans un souffle : "J'ai mal pour cette humanité et je me dis qu'en tant qu'artiste mon devoir est de réagir et de venir ici avec mes collègues pour dire qu'un petit geste peut valoir beaucoup".

Pendant 20 minutes, Latefa Ahrare et tous les autres, ceux et celles qui ont participé à cette performance artistique, ont regardé la mort dans les yeux.   Sous les applaudissements de plusieurs dizaines de badauds, ils se sont relevés, dispersés doucement, chacun reprenant son chemin. Plus rien ne sera comme avant. Plus le droit de se taire. Plus le droit de détourner le regard
«Entre se taire et parler comme tout le monde il y a le verbe ... créer ... ». Ce mardi matin, ce message posté par la comédienne a définitivement valeur de devise.

9 Septembre 2015, Narjis Rerhaye

Source : Libération

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