Ils viennent de la Zup à Montbéliard, de Champvallon à Bethoncourt et des Résidences à Belfort. Et ils ont cartonné à l’examen de la fac de médecine. Portraits croisés, loin des clichés.
«Les deux tiers des enfants d’immigrés sont en échec scolaire». Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, mai 2011.
«Le modèle de l’intégration à la française est un échec», Nicolas Sarkozy, discours de Grenoble, août 2010. A Montbéliard, Bethoncourt et Belfort, Myriam, Fatima et Youcef ne sont pas mécontents de faire mentir nos éminents gouvernants. Et de bousculer, par la même occasion, quelques clichés à la peau dure.
La première, Myriam Akodad, 23 ans, est d’origine marocaine. Elle a grandi à la Petite-Hollande à Montbéliard et s’est classée première de la fac de médecine de Besançon au concours sanctionnant les six années d’étude. Elle est aussi arrivée, au plan national, 21 e sur 7.774! A la rentrée, elle entamera cinq années de spécialisation, en radiologie ou en médecine interne.
La deuxième, Fatima Kocak, a grandi dans une famille turque de Champvallon à Bethoncourt. Ses parents ne savent ni lire, ni écrire le français. Elle s’est classée 4 e de l’académie de Besançon, 142 e au plan national et veut être radiologue. Le troisième, Youcef Lounes, 25 ans, est d’origine algérienne, élevé dans une famille nombreuse des Résidences. Il est 2.262 e et se destine à une carrière de chirurgien.
Myriam et ses amis de la fac ne tirent pas gloriole de leur parcours universitaire brillant.
Mais ils se sentent «exemplaires» d’une génération bien décidée à faire voler en éclats beaucoup d’idées reçues. «Je suis issue d’une famille de huit enfants», raconte Myriam. «Mon père fait les marchés, il vend du bazar oriental. Avant, il a fait plein de petits boulots, notamment chez Peugeot. Je l’ai toujours vu travailler dur, il avait envie de s’en sortir, et ce sont des valeurs qu’il a transmises à ses enfants».
Pour autant, le fait de poursuivre ses études n’était pas acquis. «Mon père pensait que les études n’étaient pas faites pour les gens modestes comme nous, il n’y croyait pas. Il estimait qu’il fallait trouver un travail le plus tôt possible». C’est la grande sœur de Myriam, Hayate, qui forcera le destin. Aujourd’hui médecin urgentiste, également championne du monde de boxe et élue à Besançon, elle convainc le chef de famille qu’étudier n’est pas vain. Médecins, ingénieur, juriste les plus jeunes de la fratrie ont tous de belles situations. «Moins le droit à l’erreur» Youcef, dont le parcours est similaire, le reconnaît volontiers «En France, on est gâtés, on a plein d’atouts pour réussir. L’ascenseur social existe encore. Il faut juste vouloir monter dedans et que dans les quartiers, les jeunes en aient conscience.
Peut-être qu’on ne leur tend pas assez la main, qu’on ne les informe pas assez. Et peut-être qu’ils ne font pas toujours ce qu’il faut non plus». Myriam se souvient avoir eu «le cul entre deux chaises», entre le jugement de ses camarades de la Zup qui la traitaient «d’intello», et les autres, pour qui elle ne se sentait «pas légitime». «J’ai l’impression qu’on nous en demande un peu plus pour être considérés comme les autres, comme si nous devions convaincre». «La discrimination existe», complète Youcef. «On a le sentiment qu’on a moins le droit à l’erreur que les autres».
Myriam accueille toujours avec circonspection les propos stigmatisant les jeunes d’origine étrangère. «Ce n’est pas juste. On met l’accent sur ceux qui font des bêtises, on montre rarement ceux qui s’en sortent. Pourtant, il y en a plein», résume-t-elle. Pour les étudiants, «les quartiers et les communautés d’origine immigrée ne sont pas assez représentés dans les hautes sphères de la société.
Mais ça viendra, c’est une question de génération».
23/8/2011, Serge LACROIX
Source : L’Est Républicain