L’ex-ministre de l’Intérieur publie Pour sortir la France de l’impasse, son livre de réflexions pour 2012. Il y livre notamment une analyse juste sur les questions d’immigration et d’intégration. Reste à savoir à qui est vraiment destiné cet ouvrage.
Chevènement sera-t-il candidat en 2012 ? Avec son livre Pour sortir la France de l’impasse (dont Marianne publie les bonnes feuilles samedi 1° octobre), il semble développer en tous cas un véritable programme de campagne présidentielle. Mais on peut aussi se demander si ce livre ne serait pas plus utile comme boussole idéologique de la gauche que pour le seul destin personnel de l'ex-ministre. Il est vrai qu'en matière de projet républicain, la gauche en général et le PS en particulier a encore beaucoup à prouver.
Un des points de l'ouvrage concerne notamment les questions d’immigration et d’intégration. Un domaine où le PS, entre démagogie et recherche de crédibilité, cherche encore où il habite. Chevènement développe également une critique majeure du multiculturalisme, quand d’autres à gauche, et pas seulement à SOS Racisme, parlent encore du « droit à la différence ».
Mais pour le fondateur du MRC, « Le multiculturalisme, même paré des meilleures intentions, retarde, voire empêche l’intégration, favorise le racisme qu’il prétend combattre, et ne peut que déboucher sur la fragmentation sociale et, à terme, sur des affrontements dits ’ethniques’ » (page 96).
Le piège du multiculturalisme
Il estime donc que « La République n’a pas à s’adapter à des valeurs culturelles contraires aux valeurs qui sont les siennes » (page 94). La seule solution pour lui est alors un modèle universaliste : « La France est fondée à exiger de ses citoyens qu’ils fassent les valeurs républicaines : liberté de conscience, laïcité, égalité (y compris entre hommes et femmes), fraternité (rejet du racisme et refus du communautarisme) » (page 89). « Les Français issus de l’immigration doivent faire leur cette identité républicaine », conclut-il (page 94).
Et pour permettre une bonne intégration, Chevènement n’hésite pas à adhérer à la thèse du refus de la repentance, un « exercice malsain » selon lui que ce soit pour l’esclavage, la colonisation ou la Seconde Guerre Mondiale. « Comment un pays peut-il intégrer à sa substance des jeunes auxquels on répète tous les jours que la France, dans son histoire, a commis ‘l’irréparable’, que le mieux pour elle, serait de disparaître en se fondant dans une Europe abstraite, qu’elle a enfin tous les torts vis-à-vis de leurs pays d’origine et, bien sûr, vis-à-vis d’eux mêmes, accablés de brimades et de discriminations ?», écrit-il (page 89).
Pour Chevènement, la construction européenne n’a pas effacé le « roman national » français, « au contraire, car l’Europe à construire n’a de sens qu’au service des nations qui la composent » (page 106). En cela, il ne rejette pas l’idée du débat sur l’identité nationale, rejeté dans son principe même au sein de la gauche, cependant, l’ex-ministre aurait préféré que ce débat commence « par une déclaration du président de la République sur l’identité républicaine de la France ».
Le « roman national » français
Le président d'honneur du MRC explique également que l’intégration n’est pas une question récente en France, prenant l’exemple de l’entrée de la Gaule dans l’Empire romain : « La question du métissage se retrouve tout au long de notre histoire, pas seulement aux Antilles ou dans l’ancien empire colonial, mais, aujourd’hui, en France même. Notre pays a toujours accepté le métissage. C’est ce qui l’a longtemps distingué d’autres sociétés, notamment américaine et britannique » (page 91).
Celui qui fut ministre de l’Education insiste bien évidemment sur le rôle de l’Ecole : « Seule une École plus et mieux structurée peut permettre aux jeunes issus de catégories sociales défavorisées de retrouver un sens et des repères dans la société où ils vivent. Seule l’École peut apprendre à ’devenir libre’, c’est-à-dire à s’affranchir de la prégnance de la tradition » (page 97). Il souhaite pour cela que l’Ecole participe à « la transmission de la culture et des valeurs républicaines à la jeunesse ».
A l’inverse, Chevènement s’oppose à l’idée classique à gauche qui veut que le droit des étrangers aux élections locales soit un vecteur d'intégration. « J’ai été longtemps acquis à l’idée d’octroyer le droit de vote aux élections locales aux étrangers non communautaires (...). J’ai changé d’avis », admet-il (page 104). Le PS, renforcé par sa victoire aux sénatoriales, défend encore et toujours cette idée.
Contre le « sans-papiérisme » de la gauche
Mais pour l’ex-maire de Belfort, une telle réforme « ouvrirait la voie, notamment dans certaines communes de la région parisienne, à des votes ethniques ou communautaires qui renforceraient les communautarismes et leur conféreraient l’amorce d’une base légale ». L’ex-ministre préfère miser sur le rôle de la naturalisation au lieu « de la découper par tranches » en dissociant citoyenneté et nationalité, exercice des droits politiques et adhésion à une Nation.
Au final, la pensée de Chevènement sur l’immigration et l’intégration renvoie droite et gauche dos à dos, fustigeant tant « les partisans d’une identité figée, frileuse, contraire à la définition républicaine de la France, aussi bien que les idéologies qui sanctifient la différence au mépris de l’égalité » (page 118). Et s’il s’oppose à l’immigration zéro, il dénonce aussi le « sans-papiérisme » de la gauche. Pour lui, on ne peut bâtir une politique d’immigration sans se baser sur le respect de la loi.
Pire, l’immigration clandestine ne fait qu’apporter une concurrence déloyale aux classes populaires : «L’immigration irrégulière va contre l’intérêt des couches populaires que la gauche doit reconquérir. Celles-ci aspirent justement à la tranquillité publique et à voir garanti leur droit au travail, à l’abri des lois républicaines » (page 93). Le sénateur pointe en cela « contre l’idéologie victimaire-compassionnelle souvent répandue à gauche ».
Chevènement, une boussole pour le PS ?
Mais Chevènement donne quand même des bons points au PS : « Le Parti socialiste n’a pas été à l’abri des effluves de l’idéologie libérale-libertaire. Mais son solide réseau d’élus le prémunit en partie contre de telles dérives ». A l’inverse, pour lui, « il en va différemment de ses alliés, les Verts, dont beaucoup sont certainement sympathiques, mais dont les mythes moteurs (…) me paraissent n’avoir qu’un lien assez lâche avec la philosophie des Lumières et la tradition de l’humanisme » (page 125).
Ces paroles, on aurait aimé les lire au moment de la fondation de la gauche plurielle. Quand Chevènement écrit : « Il faut convaincre nos compatriotes qui demandent à juste titre que l’immigration illégale soit combattue », on aurait le lire lorsque Jospin a promis des régularisations massives de sans-papiers, sans d'ailleurs éviter par la suite un résultat bien moindre que celui annoncé. Entre temps, le fossé entre le peuple et le PS s’est creusé. Et les recettes de Chevènement ne sauront pas de trop pour le combler.
2/10/2011, Tefy Andriamanana
Source : Marianne