Le président américain a estimé, à l’occasion de sa visite en Allemagne, dimanche 24 et lundi 25 avril, que la chancelière allemande se situait « du bon côté de l’histoire », concernant sa politique d’accueil des réfugiés syriens.
Le président américain a salué dimanche 24 avril la politique à l’égard des réfugiés adoptée par la chancelière Angela Merkel, affirmant qu’elle se situait « du bon côté de l’histoire ».
Lors de sa visite en Allemagne, Barack Obama a semblé vouloir conforter l’assise d’Angela Merkel comme leader de l’Europe. « Une amie », « une personne de confiance », « une voix éloquente » : en deux jours à Hanovre, le président américain a souligné l’estime dans laquelle il la tient.
« J’ai travaillé avec elle plus longtemps et plus étroitement qu’avec aucun autre dirigeant, et tout au long des années j’ai appris d’elle. Elle incarne beaucoup des qualités d’un dirigeant que j’admire le plus. Elle est guidée à la fois par des intérêts et des valeurs », a-t-il souligné. « Elle donne une voix à des principes qui rapprochent les gens plutôt qu’à ceux qui les divisent », a ajouté Barack Obama à ses côtés, lors d’une conférence de presse à Hanovre.
Cet hommage tombe bien pour la dirigeante allemande, qui est accusée par son propre camp politique et par ses partenaires européens d’avoir fait cavalier seul et d’avoir créé un « appel d’air » pour les migrants sur le continent.
Son parti conservateur ne rassemble plus que 33 % des intentions de vote, selon un récent sondage, un niveau au plus bas depuis cinq ans, tandis que le nouveau parti de droite populiste AfD, ne cesse de gagner du soutien dans l’opinion.
Thibaut Jaulin, maître de conférences à Sciences-Po Paris et Vivien Pertusot, directeur du bureau de Bruxelles de l’Institut français des relations internationales (IFRI), en débattent.
« Une réponse concrète à une obligation morale »
Quand elle décide de lancer son « Welcome » (bienvenue !) aux réfugiés syriens, Angela Merkel se situe du « bon côté de l’histoire ». Elle a décidé d’apporter une réponse concrète à une obligation morale et juridique, définie dans la Convention de 1951 sur les réfugiés. Cette obligation est de porter assistance à une population qui fuit la guerre.
La Chancelière n’a été soutenue ni par son opinion publique, ni par ses partenaires. Les Européens n’ont pas pris conscience de la gravité du conflit syrien et de sa proximité. Peu d’images parviennent de cette guerre, par rapport à celle des Balkans, d’autres pays voisins. Lors de ce dernier conflit, 700 000 à 800 000 réfugiés avaient été accueillis en Europe.
Angela Merkel est du « bon côté de l’histoire » quand elle perçoit que la Syrie est un pays qui est dans le voisinage direct de l’Europe. Elle fait la différence entre les réfugiés syriens, éventuellement afghans ou irakiens, qui fuient des guerres, et les migrants irréguliers, souvent venus d’Afrique. Le nombre de ces migrants irréguliers n’a pas évolué de manière très importante, contrairement au ressenti de nombreux Européens.
On peut aussi voir des motivations économiques à cet accueil. L’Allemagne connaît un déclin démographique. Des réfugiés syriens, jeunes et en bonne santé, peuvent devenir un atout. C’est là une manière d’être « du bon côté de l’histoire ». Elle a le courage de mettre en œuvre une politique impopulaire sur le court terme qui peut s’avérer bénéfique sur le long terme.
La Chancelière n’a pas été suivie par ses partenaires européens. Alors, elle a poussé à un accord avec la Turquie. Il est critiquable. Il repose sur le principe que les réfugiés peuvent être renvoyés en Turquie. Or, ce pays est débordé par l’afflux de Syriens et plusieurs ONG mettent en garde contre les risques de leur expulsion. L’accord fait de la Turquie le gendarme de l’Europe. C’est une tendance pour l’Union de transformer ses voisins du sud en États tampons vers lesquels elle renvoie les migrants.
Cet accord est un leurre. Il est basé sur un artifice comptable concernant le nombre de réfugiés que l’Europe s’engage à accueillir, s’ils ne rentrent pas de manière illégale en Grèce. Ce nombre est faible. Lorsque les réfugiés s’en rendront compte, ils prendront d’autres routes.
Enfin, quand Barack Obama parle du « bon côté de l’histoire », le président américain doit se souvenir que lui aussi a tenté de régler le sort des nombreux Mexicains sans papiers. Il n’a pu le faire, face à son opinion, que par un renforcement massif des frontières pour limiter les nouvelles entrées d’illégaux.
« Angela Merkel a pris une décision unilatérale » Vivien Pertusot, directeur du bureau de Bruxelles de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Compte tenu des valeurs de solidarité que véhicule l’Europe, il est difficile de considérer que rejeter des centaines de milliers de personnes aux frontières, c’est se placer du bon côté de l’histoire. Mais se placer du bon côté de l’histoire ne signifie pas forcément agir avec un esprit collectif. Angela Merkel a décidé d’accueillir les réfugiés de manière tout à fait unilatérale, sans concertation avec ses partenaires européens. Elle les a placés devant le fait accompli, face à leurs responsabilités. Elle n’a pas vraiment mesuré la portée de ses propos et notamment les conséquences sur les pays qui allaient devoir servir de pays de transit. On peut difficilement aller de Syrie en Allemagne sans traverser d’autres pays…
L’Allemagne se refuse de moins en moins à mettre en avant son intérêt par rapport à un hypothétique intérêt européen. Quand son intérêt n’est pas directement aligné avec le consensus européen immédiat, elle n’hésite pas à aller à son encontre. On a pu le constater avec la crise grecque, dans laquelle Berlin a été le premier à envisager un « Grexit », alors même que le débat européen n’était pas aussi mûr que cela.
Dans la crise des réfugiés, elle a en quelque sorte fait primer un intérêt humanitaire, la nécessité de mener une action de bienveillance, sur le consensus européen. Il n’est pas non plus impossible qu’elle ait pris en compte son intérêt économique, son manque de main-d’œuvre, du fait d’une démographie déclinante, étant souvent souligné. Mais un tel calcul ne saurait avoir d’effet qu’à très long terme, alors que ce sont des investissements colossaux, à court terme, qu’a entraînés l’accueil imprévu de ces centaines de milliers de réfugiés.
Les propos et la position d’Angela Merkel ont permis aux eurosceptiques d’exploiter la question des réfugiés et d’en faire un débat. On l’a vu en Europe centrale, et notamment en Slovaquie, où, pendant la campagne électorale, Robert Fico (l’actuel premier ministre, NDLR) s’est présenté comme le défenseur de la patrie slovaque…
Il est vrai qu’il aurait été probablement impossible de prendre une décision communautaire d’urgence. Il suffit de voir à quel point les États membres ont torpillé le système d’accueil des réfugiés présenté par la Commission. Alors qu’elle a essayé d’agir de façon efficace, ils lui ont envoyé une fin de non-retour. Mais la décision d’Angela Merkel a accentué les divergences entre les gouvernements. Elle a précipité un débat franc et virulent sur un sujet très intime, qui touche directement à la société que veulent les Européens. Il est fort probable qu’ils auraient eu un jour ce débat, mais pas aussi tôt, et peut-être n’y étaient-ils pas prêts.
25/04/2016, Pierre Cochez, Marianne Meunier,
Source : La Croix