lundi 25 novembre 2024 03:07

Comment la France accueille ses immigrés

Ils sont vingt-quatre. Certains se sont mis sur leur trente-et-un, chaussures cirées et costume apprêté. D'autres ont préféré le confort de baskets et la chaleur d'un gros pull en laine pour affronter cette journée. Tous sont arrivés à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en avance sur leur convocation. Leurs regards se sont posés sur les grands drapeaux français et européens déployés à l'accueil : d'ici quelques heures, ils en seront. Ces immigrants auront leurs papiers français. Mais en attendant la remise de leur carte de séjour, un peu plus tard dans l'après-midi, les participants de tous âges sont venus aujourd'hui signer leur " contrat d'accueil et d'intégration " (CAI). Un passage obligatoire depuis 2007 pour tous les étrangers admis en France pour la première fois en vue d'une installation durable. Objectif : transmettre les symboles et valeurs de la République aux immigrés. À l'heure des débats initiés par Éric Besson , lepoint.fr est allé découvrir "l'identité nationale" telle qu'on l'enseigne aux nouveaux arrivants.

"Vous êtes sur la plate-forme d'accueil de l'OFII car vous allez recevoir votre premier titre de séjour", articule Christelle, l'auditrice en charge du groupe convoqué cet après-midi. Malgré un grand "bonjour" scandé à l'unanimité à l'entrée de la jeune femme, l'assemblée semble stressée. "Vous allez signer le CAI et vous engager par contrat à respecter les valeurs de la République française", continue Christelle solennellement, en parlant lentement. Aujourd'hui, tout son auditoire comprend le français : personne n'a eu recours à un traducteur ou à l'un des audioguides disponibles à l'entrée. Ousmane N'Diaye semble - comme le reste de l'assemblée - tendu. Ce Sénégalais de 34 ans s'est assis au milieu de la salle, comme s'il voulait se faire tout petit. Passer inaperçu, il connait cela par coeur : cela fait plus de quinze ans qu'il vit à Paris, sans papiers. Le grand gaillard écoute tout de même avec attention le film diffusé, "Vivre ensemble, en France". Tout un programme.

Un film pour rappeler les valeurs de la République

Utilité des mairies, rôle des préfets, Parlement et Marseillaise : le film passe au crible le fonctionnement de la France. Le signataire d'un contrat se doit de "connaître les symboles et valeurs de la République pour mieux s'intégrer et vivre en France". Une petite dizaine de personnes, présentes sur le territoire depuis plus de cinq ans, ont l'air un peu blasé. Un Chinois hausse un sourcil à l'énoncé de toutes les libertés dont il disposera désormais (opinion, expression, circulation, propriété...), une femme algérienne hoche la tête, triomphante, à la vue de Simone Veil, alors qu'une voix off insiste sur l'égalité en droit des hommes et des femmes dans tous les domaines. "Les femmes n'ont pas besoin des autorisations de leur mari, père ou frère ; la contraception et l'avortement sont accessibles à toutes", précise la vidéo. Le chapitre sur la laïcité est suivi avec attention. Puis les images de balades en famille en forêt, d'amis réunis autour d'une partie de pétanque et d'enfants jouant avec des bateaux au jardin du Luxembourg à Paris détendent l'atmosphère. C'est aussi ça, la France...

Un médecin, une assistante sociale et un auditeur chargé du test de langue expliquent le déroulement de l'après-midi. Les participants se relâchent. Un Colombien s'inquiète de pouvoir traduire son diplôme de mécanicien industriel, un Libanais voudrait connaître la procédure pour échanger son permis de conduire. Autour de quelques biscuits et de café mis à disposition au fond de la salle, les langues se délient. Pour Ousmane, obtenir sa carte de séjour, c'est pouvoir travailler et avoir un logement. Pour lui, la France représente avant tout la démocratie.

Liberté et démocratie

Nawel, 38 ans, est Marocaine. Mariée à un Français et maman d'une petite fille de deux mois, cette carte de séjour représente surtout pour elle une "liberté de circulation". "Je ne renie pas mes origines, mais la France est mon deuxième pays : son empreinte est partout au Maroc, jusqu'au français, qui est notre deuxième langue. J'ai un travail. Mon intégration est déjà acquise." La jeune femme en tailleur n'a pas suivi le débat sur l'identité nationale , mais insiste : "Pour moi, la France, c'est avant tout la liberté et la laïcité. L'égalité et la fraternité sont aussi indissociables de l'image du pays." Pour Hamid, un Algérien, sa carte de séjour va lui permettre "d'accéder à une société de liberté", où il pourra "assurer un bon niveau de vie social et intellectuel à ses enfants grâce aux acquis sociaux". L'homme à la cinquantaine bien portée s'enthousiasme de l'aura internationale des valeurs françaises : "La France est un modèle dont les principes, la liberté et la démocratie, se sont diffusées dans toute l'Europe et jusqu'aux États-Unis."

La pause était de courte durée. Ousmane entre à présent dans la petite pièce où il va signer son CAI. Trois petits drapeaux français ornent le bureau, deux sont disposés sur le placard. "Par ce contrat, l'État s'engage à vous aider à vous intégrer, et vous vous engagez à tout faire pour vous intégrer aussi", explique une fois encore la représentante de l'OFII. Sans quitter le document des yeux, il répond avec application aux questions d'usage, destinées à l'orienter éventuellement vers un bilan de compétences professionnelles et des cours de langue gratuits. La femme glisse dans son dossier une convocation à une journée de formation civique et le dispense de la "session d'information sur la vie en France", puisqu'il la connaît "mieux que dans son pays". Quand enfin, il signe le contrat, ses épaules retombent dans un soupir de soulagement. Celui qui était jusque-là très réservé lance dans un éclat de rire : "J'attendais cela depuis si longtemps !"

Dans le couloir, alors qu'Ousmane s'éloigne, le visage radieux, vers la visite médicale obligatoire, des titulaires de la carte de séjour laissent éclater leur joie. Ils viennent de la retirer dans l'antenne de la préfecture de police, au bout du couloir. Un jeune Chinois à l'air dépassé, assis sur une chaise, comme sonné, serre le précieux sésame dans ses mains. D'autres le protègent précautionneusement dans une petite pochette bleue flanquée du logo de la République française. Avant de repartir dans les rues de Paris, le coeur léger.

Source : Le Point

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