lundi 25 novembre 2024 00:10

Comment mesure-t-on l'islamophobie en France ?

Passés relativement inaperçus dans le fracas de la manifestation Jour de colère, les chiffres des actes anti-musulmans commis en 2013 et recensés par l'Observatoire national contre l'islamophobie ont été publiés dimanche 26 janvier. L'année dernière, 226 actes anti-musulmans (164 menaces et 62 actions) ont été enregistrés auprès des services de police et de gendarmerie. Cela représente une augmentation de 11,3 % par rapport à 2012, une hausse plus faible que les années précédentes (+ 34 % en 2011, + 28,2 % en 2012).

Parmi les actes en forte augmentation, les responsables de l'Observatoire s'inquiètent des agressions de femmes voilées. Une quinzaine en Ile-de-France et au moins 4 en Champagne-Ardennes ont fait l'objet de plaintes. « Cela confirme le climat malsain qui existe dans notre pays et qui est favorisé par certaines déclarations des hommes politiques », explique le président de l'Observatoire, Abdallah Zekri. Début 2013, ce dernier avait déposé plainte contre Jean-François Copé à propos de son anecdote sur les pains au chocolat, avant de la retirer. L'année dernière, en octobre, M. Zekri avait vu son propre domicile tagué d'insultes du type « Heil Hitler » ou « Les Arabes dehors ».

DES CHIFFRES « EN DESSOUS DE LA RÉALITÉ »

L'Observatoire explique faire ce comptage des plaintes transmises au parquet grâce à des remontées de terrain. « Les responsables régionaux du CFCM, les recteurs de mosquée, les policiers me tiennent au courant », explique M. Zekri, qui affirme ensuite confronter ses chiffres avec ceux recensés par les services du ministère de l'intérieur lors d'une réunion trimestrielle Place Beauvau. « A deux trois actes près, nous tombons toujours sur les mêmes données », détaille le président de l'Observatoire, qui confie que ces « chiffres sont en dessous de la réalité ». « Il y a au moins 20 % des personnes qui ne vont pas porter plainte », estime-t-il.

Une analyse confirmée par les chercheurs, comme le sociologue Marwan Mohammed, qui a consacré un chapitre de son livre Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le problème musulman à la mesure de l'islamophobie. « Le recensement des plaintes pour mesurer l'islamophobie est une donnée relativement fragile. Dans les études de victimisation, on remarque que le fait d'aller porter plainte est plutôt faible sur ces questions. Nous ne disposons pas non plus d'étude fiable sur l'accueil qui est réservé aux plaignants par les policiers. Et la plainte peut ensuite être requalifiée, par exemple en incitation à la haine raciale », estime M. Mohammed.

DES DIVERGENCES POLITIQUES

Les mesures de l'Observatoire sont par exemple très inférieures à celles du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) qui a lui choisi de recenser les actes sur la base des déclarations des citoyens ou des remontées médiatiques. En 2012, le CCIF était arrivé à un total de 469 actes islamophobes commis, plus de deux fois supérieurs à ceux de l'Observatoire, qui en avait totalisé 201 cette année-là.

Ces divergences sur les chiffres reflètent aussi les divisions politiques entre l'Observatoire et le CCIF. Emanation du Conseil français du culte musulman (CFCM), l'Observatoire a été créé en juin 2011, quelques mois après la signature d'une convention entre le ministre de l'intérieur de l'époque, Brice Hortefeux, et le CFCM pour « mieux suivre » les actes islamophobes. « Nous avions parlé de ces problèmes avec Brice Hortefeux en août 2010 au moment de la signature de la convention. Quand une enquête parlementaire nous a été refusée en 2011 sur ce sujet, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes en créant notre propre structure », se souvient Abdallah Zekri.

Une proximité avec le pouvoir régulièrement dénoncée par le CCIF. Les porte-parole de ce collectif, qui fut à sa naissance proche de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), plus rigoriste, adoptent volontiers un ton plus polémique. Après le contrôle d'une femme voilée à Trappes qui avait dégénéré en émeute en juillet 2013, le CCIF avait ainsi accusé les policiers d'islamophobie.

Les chiffres de l'Observatoire restent donc plus en conformité avec les chiffres recensés par le ministère de l'intérieur. « De fait, aujourd'hui, les chiffres de l'Observatoire sont ceux de Beauvau », analyse M. Mohammed, qui estime que l'islamophobie reste mesurable à conditions de croiser les données.

Le chercheur explique s'appuyer sur les dépôts de plaintes, sur les chiffres du CCIF, mais aussi sur les enquêtes sociologiques comme le document « Trajectoires et origines » réalisé par l'Institut national des études démographiques, les études d'opinion de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, qui pointent régulièrement une hausse du sentiment anti-musulman, ou encore les différents testings.

28/1/2014, Matthieu Goar

Source : Le Monde

 

Google+ Google+