dimanche 24 novembre 2024 20:47

Dans la «jungle» de Calais, la vie précaire des migrants

« Venez ! Là c'est la cuisine. » Le jeune garçon contourne la cahute. « Come ! » A l'arrière, un homme accroupi souffle sur des braises. La pâte, faite de farine, de sel et d'eau ,cuit sur un couvercle de bidon noirci par le feu. Celui qui pétrit arbore un sourire : « C'est mon business dans la jungle. » « Jaangle », prononcent-ils tous dans un anglais plus ou moins balbutiant.

A Calais (Pas-de-Calais) et au-delà, le mot désigne l'endroit où séjournent, dans des conditions de précarité extrême, des centaines de migrants afghans en attente d'un passage vers la Grande-Bretagne. Ce campement fait de palettes et de bâches, de plus en plus organisé ces derniers mois, s'est construit non loin des ports de la ville, dans une zone industrielle. Fin avril, le ministre de l'Immigration, Eric Besson, a promis sa « fermeture » avant la fin de l'année.
Quai de la Moselle, la camionnette de l'association la Belle-Etoile s'arrête près de conteneurs à poubelles. Près de 200 migrants se lèvent. Les files se forment Africains et Afghans séparés pour la distribution des repas. Riz et haricots verts au menu. Dastajol, 17 ans, attrape une assiette. « C'est mon premier repas depuis 24 heures. » Le jeune Afghan porte un ample vêtement traditionnel de coton noir qu'il explique être heureux d'avoir pu conserver durant son périple à travers l'Iran, la Turquie et l'Europe. A ses pieds, de vieilles baskets. « Je les ai achetées en Grèce. Douze euros. Il m'en faudrait d'autres pour passer en Angleterre.» Son regard se pose, inquiet. Il questionne : « Est-il vrai que nous allons tous être renvoyés en Afghanistan ? »

Sur le terrain, la tension monte
« Attention à la police ! Il y a un charter vendredi. » Les rumeurs courent. L'opération de destruction de la jungle devait avoir lieu, affirme l'association Salam, le 21 juillet. Un « charter » d'Afghans « via Lille » le 24. Depuis l'accord franco-britannique visant à blinder cette frontière de la Manche, elles ne cessent. Sur le terrain, la tension monte. « Besson l'a annoncé, il le fera, s'accordent les responsables associatifs. Mais quand ? » « Sur le principe, on s'y oppose, précise l'un. D'autres migrants arriveront et ça ne changera rien. Mais on veut être présents pour que ça se passe le mieux possible. »
Lors des réunions avec les autorités, ils martèlent leur condition : « Des hébergements pour les demandeurs d'asile et pour les autres. » Côté mairie, on oppose un silence las. Côté préfecture, on affirme sans détour que « démembrement » ou « résorption » de la « jungle », désormais gérée par l'ethnie afghane pachtoune, et des autres squats, en majorité peuplés d'Erythréens, sont l'objectif. Il faut « alléger la pression migratoire qui pèse sur les habitants de Calais », insiste le préfet. « Vider la jungle », certes. Mais « en traitant au mieux la situation des individus », assure le représentant de l'Etat.

Echapper au fichier d'empreintes digitales
Trier migrants économiques et « vrais » persécutés pour convaincre ceux qui y sont éligibles de demander l'asile en France. Installée ici depuis mai, l'équipe du Haut-Commissariat pour les réfugiés, épaulée de France Terre d'asile, peine à la tâche. Difficile, après ces périples de milliers de kilomètres, de concurrencer le bourrage de crâne des passeurs qui vantent, encore et toujours, le mirage anglais. Difficile aussi de balayer ces proches que la plupart veulent rejoindre outre-Manche. Les contrôles policiers incessants incitent certains, qui craignent le renvoi vers l'Italie ou la Grèce, à s'abîmer les doigts à l'acide ou au métal chauffé. Ils espèrent ainsi échapper au fichier d'empreintes digitales Eurodac et au règlement dit de Dublin, qui autorise leur expulsion vers le premier pays de l'espace Schengen où ils ont été enregistrés. Abraham, un Erythréen de 23 ans, assure : « Si je retente le passage, je brûle mes mains. »

Les occupants prennent la fuite
A la distribution, Dastajol couve du regard son cousin Zardad, 10 ans, qui s'est refaufilé dans la queue. Ces jours-ci, les deux garçons ont trouvé une place dans l'une des cahutes de la « jungle ». « Sans payer », assure l'aîné. La rumeur d'évacuation a dispersé plusieurs centaines de ses occupants vers Paris, « l'Allemagne et la Belgique », rapporte-t-on. Les bagarres autour du point d'eau se sont un peu apaisées. Même si les Afghans de l'ethnie Hazara, confinés dans des broussailles près de l'autoroute, bataillent pour y accéder.
Après un passage devant la cabane-mosquée, Dastajol s'arrête devant une cahute couverte d'inscriptions. Il lit : « No depurte in Afghanistan OK ! » Bloqué depuis deux mois, le garçon n'a plus d'argent. Il n'a donc toujours pas pu appeler ses parents. Il sait encore moins comment payer son passage. Ces temps-ci, la tentative d'embarquement dans un camion sur l'une des aires d'autoroutes de la région coûte entre 300 et 600 €.


Source: Le Parisien

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