lundi 25 novembre 2024 03:07

Driss El Yazami : « Une histoire faite de métissage et de tensions »


Pour Driss El Yazami, commissaire de l'exposition «Générations, un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins de France», l'histoire de l'immigration maghrébine a été pluraliste et diversifiée, faite de proximité et de tragédies, mais irrémédiablement commune

Présente dans l'Hexagone dès le début du XXe siècle, l'immigration maghrébine est souvent perçue, y compris par les Maghrébins eux-mêmes, comme d'implantation récente, remontant au mieux aux Trente Glorieuses. Profondément assimilée sur le plan culturel, elle continue pourtant à susciter polémiques et interrogations quant à son altérité, supposée irréductible.

Pluraliste et diversifiée, elle est encore réduite à la seule histoire du travail. Grâce aux avancées de l'historiographie et à la découverte de fonds inédits d'archives, nous sommes aujourd'hui en mesure de relativiser ces certitudes et d'esquisser une nouvelle histoire de ces populations et du processus complexe de leur enracinement en France. Cette nouvelle approche n'est pas sans intérêt alors même que l'on s'interroge sur ce qui «fait France».

Ainsi éclairée, l'histoire de l'immigration apparaît d'abord liée à l'histoire militaire et ce dès la conquête de l'Algérie en 1830. Durant toutes les conquêtes coloniales comme pendant les deux guerres mondiales, l'armée française a eu largement recours aux soldats de l'Empire : 300 000 soldats et 130 000 ouvriers entre 1914 et 1918, par exemple.

Pour tous, cette tradition n'est pas sans conséquences. Avant toute autre institution, l'armée apprend à gérer les spécificités de ses contingents musulmans. Alors que la mobilisation est pour les soldats l'occasion de la découverte de la métropole et de sa modernité, l'occasion de la première confrontation avec le salariat moderne. http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

Une France plus accueillante que la misère et les réalités inégalitaires de la colonie

«On ne rencontre pas d'injustice dans ce pays, mais seulement la justice et la liberté», s'enflamme un ouvrier tunisien dans une lettre d'avril 1917. Démobilisés, certains réussissent à s'implanter en France, alors que ceux qui repartent tentent de revenir et diffusent l'image d'une France finalement plus accueillante que la misère et les réalités inégalitaires de la colonie.

C'est aussi très tôt que l'immigration ouvrière s'enclenche. Au début du XXe siècle, ces immigrés sont quelques milliers d'Algériens et de Marocains engagés dans la construction du métropolitain ou dans les mines du Pas-de-Calais. Mais c'est après 1918 que la noria de l'émigration est définitivement amorcée.

En dépit de multiples entraves administratives et de vagues d'expulsions, plus de 400 000 Maghrébins auraient traversé la mer entre 1921 et 1939. Après la Libération, et jusqu'à la fermeture de l'immigration de travail au milieu des années 1970, les flux sont tout aussi significatifs, avec un démarrage du regroupement familial en pleine guerre d'Algérie.

Cette émigration ouvrière vit dans les conditions les plus précaires, se trouve régulièrement confrontée à une xénophobie sans retenue et fait l'objet d'un encadrement administratif tatillon et de plus en plus drastique. http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

Syndicalistes, responsables associatifs, étudiants, romanciers, poètes...

Mais dès l'entre-deux-guerres, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, elle se révèle politiquement active et d'une créativité culturelle extraordinaire. Nourri à la fois par les idées du réformisme musulman, les valeurs de la Révolution de 1789 et les contacts avec le mouvement ouvrier français, le nationalisme maghrébin se développe en France même dès les années 1920.

Militants politiques, syndicalistes, responsables associatifs, étudiants, romanciers, poètes et peintres, cinéastes et hommes de théâtre font dès cette époque leur apprentissage sur les rives de la Seine. La relation des élites maghrébines avec la République qui se noue dès cette époque et qui perdure longtemps après les indépendances est complexe : la France est à la fois le pays du savoir et la terre de référence en termes de valeurs, et une puissance dominante dont il s'agit de se séparer.

Censée rompre définitivement le cordon ombilical entre le Maghreb et la France, la décolonisation n'a pu, comme tout le monde s'y attendait, mettre fin à l'immigration. Et les acteurs d'aujourd'hui sont les héritiers de cette longue histoire qui les a constitués à leur insu. Une histoire faite de métissage et de tensions. De proximité et de tragédies. Une histoire irrémédiablement commune.

Source : La Croix

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