mardi 26 novembre 2024 12:50

Droits des migrants et droits de l'Etat

Si un pays a le plein droit de réglementer la migration et de contrôler les flux migratoires, les immigrés, eux, ont droit à la protection.

De tous les aspects liés à la question de l'immigration, l'aspect juridique est celui dont on parle le moins. Pourtant, il s'agit d'un élément clé pour appréhender les enjeux géopolitiques et socioéconomiques de l'immigration dans le monde. Pour faire la lumière sur l'évolution des lois et des politiques migratoires et leur impact sur la situation socioéconomique des immigrés du Maghreb Arabe, l'Observatoire des circulations migratoires et des espaces transfrontaliers a tenu, hier à Rabat, un colloque international sur le thème « Immigration, changement social et juridique au Maghreb».

Si l'accent a été mis sur la région du Maghreb, c'est parce que l'immigration Sud-Nord et même Sud-Sud y a pris de l'ampleur, au point de devenir dorénavant un «fait social et spatial majeur et inédit ». Certes, les lois relatives à la réglementation de l'immigration et à la gestion des flux migratoires sont intrinsèquement différentes d'un pays à l'autre, mais elles ont dorénavant un point commun : la tendance, constatée durant les dernières années chez les pays développés, à contrôler voire à freiner la migration à provenance du Sud. Une tendance qui trouve son explication dans les angoisses sécuritaires ravivées notamment par la montée en puissance du terrorisme.

Mais pas seulement. Hervé Le Bras, spécialiste en histoire sociale et démographie, évoque le «coût de l'immigration» qui sert souvent de prétexte pour durcir les politiques de migration dans les pays européens. «On a tendance à croire que les immigrés coûtent plus qu'ils ne rapportent. A vrai dire, cet argument a une grande résonance dans les pays développés et il est employé par les partis et syndicats qui s'opposent à l'immigration. Il s'agit d'un argument faux car partiel, en ce sens qu'il ne prend pas en considération l'ensemble du cycle de vie de l'immigré», explique M. Le Bras.

Aux antipodes de cette thèse soutenue surtout par les plus radicaux, d'autres voix plaident pour une plus grande ouverture des frontières face aux flux migratoires. Pragmatiques, les tenants de cette thèse arguent que l'Europe est un continent qui vieillit rapidement et que les immigrés, des jeunes pour la plupart, sont les seuls à pouvoir compenser ce vieillissement. « Encore une fois, il s'agit d'un raisonnement purement abstrait dont on ne peut voir les modalités concrètes de réalisation », analyse objectivement M. Le Bras. Car, pour parler chiffres, les pays industrialisés ont besoin pour compenser le vieillissement de leur population de pas moins de 5 milliards de jeunes immigrés ! «Les libéraux sont les seuls à avoir défendu l'ouverture complète des frontières, tout en soulignant la nécessité de protéger les nationaux», précise M. Le Bras. A juste titre, l'enjeu actuel consiste à trouver le juste milieu entre les droits des migrants et les droits de l'Etat. « La question à ce poser est la suivante : est-ce qu'il faut favoriser le droit de l'Etat à réglementer, à organiser et à sanctionner la migration, ou bien le droit des immigrés à être protégés ? En d'autres termes, nous sommes en face à un conflit entre les droits individuels et les droits collectifs », remarque Khadija Elmadmad, professeur de droit à Rabat et titulaire de la Chaire UNESCO "Migration et droits humains". Vue la perspective des pays du Maghreb arabe, la question migratoire revêt une importance grandissante.

Elle est devenue selon les organisateurs à la fois «un instrument de la diplomatie, une arme de négociation avec l'Europe, un enjeu régional, mais aussi un élément de politique intérieure ». D'où la nécessité de redessiner les équilibres avec l'Europe et entre les pays de la région maghrébine qui est devenue, par excellence, un espace d'immigration.

La migration Sud-Sud

L'immigration a longtemps été le fait de populations pauvres qui quittent leurs pays d'origine pour les pays industrialisés. Ce schéma est en train de changer même lentement, avec l'apparition, voire l'expansion de l'immigration sud-sud. Même les pays les plus pauvres de la planète, comme la Mauritanie, reçoivent des flux migratoires importants en provenance de pays sous-développés. A Nouakchott par exemple, les immigrés représentent 20% de la population et 30% à Nouadibou, la capitale économique. L'immigration dans ce contexte a ses particularités. Il s'agit d'une immigration qui n'est ni formalisée ni contrôlée par l'Etat, mais qui participe grandement à l'économie nationale. En atteste le fait que 30% des immigrés en Mauritanie montent leurs propres projets d'entreprises, allant de petites boutiques jusqu'à de grandes usines qui emploient la population locale. De ce fait, leur niveau économique est égal, voire supérieur, à celui des nationaux, parce qu'ils travaillent souvent dans les secteurs les plus importants de l'économie. Ces secteurs ne sont pas suffisamment investis par les autochtones et ont, dès lors, grand besoin du savoir-faire apporté par les immigrés. En ce sens, on parle d'une immigration créatrice de richesse et contribuant au développement économique.

28.02.2011, Meriem Rkiouak

Source : Le Matin

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