lundi 25 novembre 2024 04:44

Entretien avec Abdelhamid El Jamri, expert international

La question de la protection des droits des Marocains du monde se pose différemment selon le pays de résidence.

LE MATIN : Chômage massif, aides au retour, discriminations dans le travail, directives de retour, déchéance de la nationalité : ce sont les travailleurs migrants qui portent le plus lourd fardeau de la crise. D'Espagne, de Belgique, de France, ce sont eux qui payent le prix fort de la crise subissant tour à tour rejet et précarité. Vous avez beaucoup travaillé sur ces questions liées aux politiques de l'emploi et du développement économique. Comment appréciez-vous et analysez ce climat de crise durant ces dernières années ?

ABDELHAMID EL JAMRI : Pour une bonne compréhension du problème, il faut distinguer deux choses. D'une part, l'impact de la crise sur les travailleurs migrants et, d'autre part, les conséquences de la crise sur les politiques publiques en matière de migration.L'impact de la crise sur les travailleurs migrants est réel. Il est d'abord sur l'ensemble des travailleurs en général. Mais il est plus fort sur les travailleurs migrants. Ces derniers sont connus comme étant vulnérables dans les pays de résidence. Cela se traduit par un taux plus fort de chômage chez les migrants par rapport à l'ensemble des autres travailleurs, par une baisse de revenu importante. Ce qui se traduit par des conséquences au niveau de la vie sociale et de l'intégration. Et bien sûr, comme les migrants sont souvent en relation avec le pays d'origine, les conséquences atteignent le pays d'origine aussi. On sait que beaucoup de familles restées dans le pays vivent grâce à l'aide directe des travailleurs migrants. Cette aide se trouve donc diminuée.Ce qui aggrave encore l'impact de la crise sur les travailleurs migrants, c'est le réveil de la fameuse préférence nationale que l'on voit apparaître dans plusieurs pays d'accueil. Préférence à l'embauche des nationaux et discrimination à l'égard des travailleurs d'origine étrangère. Le plus grave avec la crise actuelle, c'est que nous avons, dans certains pays européens, des syndicats de travailleurs qui appellent à la préférence nationale en matière d'embauche. Nous avons eu récemment un exemple en Grande-Bretagne où les ouvriers ont exigé l'embauche des nationaux. Nous avons été habitués à ce que les syndicats de travailleurs pratiquent la solidarité et l'égalité entre les travailleurs et défendent leur intérêt, qu'ils soient étrangers ou nationaux. Au niveau de l'impact sur les politiques publiques, vous savez que beaucoup d'Etats de résidence ou d'accueil ont une position duale sur la question migratoire. Certains appellent à l'arrêt de la migration, c'est ainsi que des représentants de partis et des hommes politiques appellent, à des degrés différents, à l'arrêt de la migration et au retour des migrants chez eux. La question migratoire est un fonds de commerce politique. D'un autre côté et c'est ce qui peut paraître paradoxal, il y a la position économique, les syndicats patronaux, par exemple, appellent à l'ouverture de lignes pour la migration légale. La migration rend fluide la force de travail et tend à diminuer les coûts de production. Les observateurs économistes le savent, beaucoup de secteurs ne survivront pas sans la main-d'œuvre étrangère.

Et même quand il s'agit de migration dite irrégulière, plusieurs secteurs économiques en Europe ne subsistent que grâce à la présence de migrants sans papiers. Avec la crise, certains hommes politiques cherchent à tirer des dividendes politiques, nous en avons un exemple avec le dernier discours du président français qui a voulu mettre sur le dos des migrants l'échec de sa propre politique en matière de sécurité, de migration et de cohésion sociale. C'est une attitude dangereuse qui stigmatise une communauté et qui pose un réel problème d'unité nationale .Dans beaucoup de pays d'accueil, des mesures ont été prises pour arrêter la migration, inciter au retour des migrants dans leur pays d'origine. Ces politiques de retour ont eu peu de succès car les migrants, qui pour la plupart ont fait leur vie dans les pays d'accueil, restent très attachés aux acquis sociaux, notamment en matière de protection sociale dans les pays de résidence.

Vous soulignez cependant un paradoxe: avec le vieillissement des populations et la reprise économique même si celle-ci est encore faible, les économies des pays du Nord ont besoin des migrants ?

En même temps que les pays européens appellent à l'arrêt de la migration et au retour des migrants dans leur le pays, les derniers rapports de l'OCDE appellent les Etats membres de ne pas arrêter la migration et d'ouvrir des programmes pour la migration légale. Parce que, après la crise, il va y avoir la croissance et la croissance économique ne pourra pas se faire sans la main-d'œuvre immigrée. Autrement dit, l'OCDE a compris que la migration n'est pas un problème mais une solution à la croissance économique.

Le ministère chargé des MRE a organisé récemment à Rabat une journée sur la protection des droits des MRE en temps de crise. Quel est votre sentiment sur cette initiative ?

L'organisation de cette journée annuelle du migrant sous le patronage de Sa Majesté le Roi, très sensible à ces questions de protection des droits des émigrés, est une bonne initiative. Le Maroc ne peut que s'en féliciter et en être fier. Car peu de pays dans le monde organisent une telle journée. Cette année, le thème est celui de la protection des droits des Marocains du monde, un thème qui a été décliné au niveau national mais aussi au niveau local, où chaque préfecture ou province a organisé une rencontre sur le même thème. Le choix du thème est judicieux, surtout en temps de crise où on essaie de faire endosser aux migrants la responsabilité des effets de la crise sur la situation économique et sociale des pays de résidence. J'ai participé personnellement à la rencontre nationale organisée par le ministère en charge de la CME à Rabat. Le débat y était riche et fructueux, animé par des représentants d'institutions internationales et d'acteurs de qualité qui ont posé les vraies questions. Le même jour, en soirée, j'ai participé aussi à une rencontre locale, organisée par le Gouverneur de Mohammedia, avec des élus et responsables locaux. Avec la participation de la Communauté marocaine à l'étranger. Les échanges avaient porté sur la question de la protection en générale, mais aussi sur des difficultés pratiques que vivent certains de nos migrants en relation avec l'administration marocaine. Certaines de ces situations ont été réglées sur place par le gouverneur et les responsables présents.C'est une bonne initiative, il faudrait la perpétuer et la renforcer au niveau local.

Avec plus de 100 instruments de droit international, traités, normes, peut-on parler de droit international de la migration ?

Avoir plus de cent instruments de protection des travailleurs migrants au niveau international est une excellente chose. Cela veut dire que chacun des Etats du monde a ratifié au moins une partie de ces instruments. Ce qui signifie que dans chaque Etat, des moyens de protection des travailleurs migrants existent. Les instruments internationaux, quand ils sont ratifiés, deviennent applicables au niveau national, avec même une suprématie sur les lois nationales, qui doivent par ailleurs s'adapter aux instruments internationaux. Mais le défi, c'est effectivement la connaissance de ces instruments d'une part et l'applicabilité des droits, d'autre part. Beaucoup de migrants à travers le monde ne bénéficient pas de leurs droits, pour différentes raisons. D'abord eux-mêmes ne connaissent pas toujours ces droits, certains fonctionnaires en charge de l'application de la loi n'ont pas été formés à l'application des droits des migrants et des instruments internationaux (juges, police, etc.). Dans d'autres cas, se pose la question de l'applicabilité des lois. Les lois, bien qu'elles existent, elles ne sont pas toujours applicables à la protection des droits des travailleurs migrants. Pour des raisons peut-être qui peuvent paraître objectives ou de situations particulières comme l'exemple des travailleurs domestiques migrants.

Ces migrants arrivent dans un pays différent, par la langue, par la culture et leur lieu de travail est le domicile. Leur lieu d'habitation est le même lieu de travail. Ils sont isolés à tous les niveaux. Ils n'ont pas de liens sociaux, ils ne sont pas toujours en contact avec d'autres membres de leur communauté. Dans plusieurs pays, ils sont exclus du code du travail, parce que le domicile n'est pas considéré comme un lieu de travail et les inspecteurs de travail ne peuvent pas y accéder. Tout cela fait que le migrant n'a pas accès à tous ses droits et souvent il y renonce de peur de se retrouver à la rue, expulsé du domicile qui est à la fois son lieu de travail et son lieu de résidence.

Concernant la convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et leurs familles, vous avez souligné le fait qu'aucun pays développé n'a signé cette convention. C'est une question importante qui mériterait d'être approfondie. La politique migratoire marocaine permet-elle une bonne protection des droits de nos RME ?

Je pense que le Maroc a tous les éléments pour mettre en place une bonne politique migratoire. D'abord, il faut en être fier, notre pays a une idéologie que beaucoup d'autres pays n'ont pas. Notre idéologie a comme fondements le nouveau concept d'autorité annoncé par Sa Majesté le Roi en 1999, le rapport de l'IER, le rapport du cinquantenaire et l'INDH. Nous avons également les orientations nécessaires en matière de politique migratoire. Ces orientations, on les trouve dans les discours Royaux de ces dernières années, qui insistent beaucoup sur le respect des droits et de la dignité des travailleurs migrants. On les trouve dans les différents engagements internationaux du Maroc et dans la panoplie des normes internationales en matière de protection des travailleurs migrants. Nous avons des lois, notamment la loi 0203, qui a le mérite d'exister et qui est perfectible pour assurer une meilleure protection.

Nous avons aussi les institutions nécessaires, ministères, réseau consulaire, conseils consultatifs, fondations, société civile. Ce qui nous manque pour avoir une meilleure politique migratoire, ce sont des arbitrages et de la coordination. Des arbitrages au niveau des prérogatives des uns et des autres et de la coordination des différentes actions et interventions.

Comment résoudre les problèmes de protection des droits des MRE ?

La question de la protection des droits des Marocains du monde se pose différemment selon le pays de résidence. On peut dire que l'on a moins de difficultés dans les pays du Nord. Et là où l'on a le plus de difficultés, c'est dans les pays africains et arabes. Une attention particulière doit être donnée à nos migrants qui sont dans ces pays-là et aussi à certaines catégories vulnérables qui sont les femmes, les mineurs non accompagnés et les irréguliers. Les moyens de protection que l'on a, ce sont d'abord nos consulats qui existent dans tous les pays de résidence des Marocains du monde. Leur rôle principal et de protéger et de porter assistance aux Marocains. Nous avons aussi tous ces instruments internationaux dont on parlait tout à l'heure. Le Maroc peut sommer les pays qui les a ratifiés à les appliquer pour la protection des MRE.

Notre pays a aussi signé un certain nombre de conventions bilatérales, dont certaines ont besoin d'être dépoussiérées. Ces conventions bilatérales sont aussi un moyen de protection qui engage le Maroc et le pays signataire. La société civile joue aussi un rôle important, qu'il faudrait renforcer. Je voudrais rappeler que la question de protection des MRE se pose dans le pays d'origine, au Maroc. Beaucoup de nos compatriotes ont des difficultés à avoir leurs droits au Maroc. Mais ici ou là, en Europe ou au Maroc la question primordiale dans la protection des droits des MRE, c'est l'information. Les droits concernent tout le processus migratoire, pays d'origine, pays de transit et pays de résidence. Beaucoup de problèmes commencent dans le pays d'origine.
A titre d'exemple, certaines agences de recrutement à l'international recrutent au Maroc sur la base de contrats de travail, quand le migrant arrive dans le pays de résidence, on le met devant le fait accompli et on lui présente un autre contrat
de travail différent, avec moins de droits.

La solution serait de mieux contrôler ces agences de recrutement. Informer le migrant de ses droits avant le départ et pendant sa période migratoire nous permettrait de mieux le protéger. En un mot l'information est primordiale.

Source : Le Matin

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