Quels projets pourrions-nous concevoir et réaliser d'un commun accord face au phénomène de la migration? Que faire pour vivre et réussir une si belle entreprise? Comment faire de l'immigration un dialogue entre la patrie d'origine et le pays d'accueil afin de générer l'estime réciproque entre les peuples et favoriser l'osmose entre les civilisations, une devise dont se réclament aujourd'hui de nombreuses personnalités, qui restent cependant retenues, voire inhibées par des soucis politiques, économiques, sociaux et culturels.
L'immigration est solidement ancrée dans les profondeurs de la Méditerranée. Les échanges entre les deux rives de cette mer prestigieuse remontent à la préhistoire. Les mégalithes et l'habitat troglodytique, partout présents au Maghreb, racontent l'aventure de populations, venues du Nord et d'Orient pour enrichir la palette ethnique de nos contrées
A l'époque punique, Carthage abrita des colonies appartenant à divers pays. Des colonies grecques y vivaient en toute quiétude. Nous en avons le témoignage de Diodore de Sicile. La ville de Cirta, l'actuelle Constantine en Algérie avait également accueilli des colonies grecques. Les textes et les inscriptions en témoignent. Avec la conquête romaine, des colonies italiennes s'installèrent dans de nombreuses cités maghrébines: de nombreuses inscriptions latines en font état. Après la conquête arabe et aux époques moderne et contemporaine, des colonies européennes élurent domicile dans les pays du Maghreb. Les sources historiographiques mentionnent des communautés de Chrétiens et de Juifs qui résidaient en Ifriqiya. Plus tard, du XVIème au XXème siècle, l'Europe n'a pas cessé de déverser son trop plein démographique au Maghreb: des colonies italiennes, maltaises, espagnoles, françaises, etc.
La colonisation a favorisé le transfert de populations, non par la contrainte, mais surtout par la séduction et les promesses miroitantes, qui cachent mal le désir de conquérir et de dominer les "indigènes".
Au terme de la période coloniale, des Maghrébins se sont établis sur la rive Nord, notamment dans les pays de l'Union Européenne, comme la France, l'Italie, l'Espagne, ainsi que la Belgique, l'Allemagne Fédérale et la Grande-Bretagne. C'est la recherche du travail et du savoir. Peut-être faut-il rappeler ici que la civilisation méditerranéenne constitue une unité plurielle. Le Maghreb, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, l'Egypte, la Turquie, et bien d'autres pays ont participé à son édification, à travers les siècles et les générations. Ne faut-il pas alors reconnaître aux pays de la Méditerranée des racines communes, un patrimoine commun et une histoire partagée? Ces peuples ne peuvent pas et ne doivent pas tourner le dos à leur destin méditerranéen. C'est en se prévalant de ce legs que l'on peut faire de l'immigration un lien entre les peuples et un facteur de stabilité politique, de prospérité, de paix et de sécurité pour toute la zone méditerranéenne.
Mais que faire pour atteindre cet objectif? On doit agir de sorte que les immigrés se sentent bien adaptés au pays hôte et bien ancrés dans leur pays d'origine. C'est ainsi qu'ils se trouvent en mesure de servir le dialogue entre la communauté qui les accueille et celle dont ils sont issus.
Ils peuvent d'ailleurs faire le pont entre les deux rives de la Méditerranée.. Pour y parvenir, il y a lieu de procéder à une relecture du passé méditerranéen, une lecture fédératrice et non segmentée. Elle mettrait en exergue ce qui unit sans exclure les spécificités dont il convient de faire une source de fécondation et de richesse.
Il faut donc une politique éducationnelle et culturelle qui soit efficace et crédible. Comment une communauté d'immigrés peut-elle susciter le respect du pays hôte si, venant d'un pays du Sud, elle fait preuve d'une ignorance totale d'elle-même et de l'histoire de son pays d'origine?
Point de respect pour un citoyen tunisien qui, de Carthage et de Kairouan, ne fasse pas un titre mérité de gloire sans chauvinisme et sans excès d'orgueil! Point de respect pour un citoyen tunisien qui ne soit pas fier de son arabité et de ses ancêtres berbères, phéniciens, carthaginois, romains, qu'ils fussent païens, chrétiens, juifs ou musulmans, etc.
La Tunisie se prévaut d'une civilisation libyco-punico-romano-arabe. Elle se doit de s'y intéresser le mieux possible, notamment par la formation de cadres compétents et mondialement reconnus afin que l'autre se fasse disponible à les écouter sans pouvoir les ignorer, ni les exclure. Une telle politique serait d'un apport considérable pour la renaissance nationale et la construction d'une Méditerranée solidaire.
Mais l'ancrage de la confiance ne se fait que dans un environnement d'ouverture, de savoir et de crédibilité. Certes, pour la construction de ponts entre les peuples, et l'animation du dialogue culturel, le rôle de l'Université est considérable. Pour y réussir, il faut offrir aux immigrés une nourriture culturelle dûment extraite du patrimoine national et du patrimoine méditerranéen que nous partageons avec les autres peuples de la Méditerranée. Il ne serait guère difficile de penser à des maisons de culture dont la conception et la gestion seraient le résultat d'un commun accord entre le pays émissaire et le pays destinataire. De tels espaces proposeraient des manifestations qui mettraient en valeur le patrimoine méditerranéen commun sans exclure les spécificités.
Le dossier demeure cependant ouvert pour davantage de réflexion et de concertation sur les voies et les outils qui feraient de l'immigration un facteur de développement, de rapprochement et d'amitié entre les peuples.
10/11/2013, Mhamed Hassine Fantar
Source: HuffPost