mercredi 27 novembre 2024 01:32

Français langue d'intégration (FLI) : réponse des acteurs de terrain, des scientifiques et des universitaires qui y sont descendus

Ce texte est produit à la fois par des auteurs du référentiel, des professionnels de terrain, des chercheurs spécialistes depuis longtemps de la formation linguistique et d'autres qui ne le sont pas, mais que le domaine concerne parce qu'ils sont engagés dans la construction de masters incluant des orientations insertion et intégration. Il est enfin co-rédigé par des chercheurs qui entendent intervenir de façon distanciée dans un débat qui échappe aux principes de rigueur qui constituent le socle de notre engagement professionnel.

Il est sain que la mise en place du label FLI interroge les chercheurs autant que les praticiens et il nous semble nécessaire que toutes les personnes préoccupées par la mise en place du FLI possèdent les informations sur les tenants et les aboutissants de la rédaction du label. Cependant, les accusations d'instrumentalisation et certains propos tenus sur les experts qui ont participé à la rédaction du référentiel sont inacceptables, voire calomnieux. L'intérêt soudain porté au FLI est exactement proportionnel au désintérêt qu'a suscité, pendant de très longues années, la formation linguistique des migrants adultes et ses acteurs. L'histoire de ce champ éducatif est en train de s'écrire et démontre combien il a peiné à se faire une place aux côtés du FLE puis du FLS. Les attaques, auxquelles nous allons répondre, par leur virulence et parfois leurs outrances, tendent au moins à démontrer qu'il est désormais incontournable.

Nous souhaitons donc apporter ici quelques éléments de réflexion au débat.

Les critiques, par leur caractère désordonné, confus et contradictoire, révèlent davantage une crise profonde de la sociolinguistique et de la didactique du français qu'une force scientifique sereine et sûre d'elle-même. Quand les uns s'alarment d'un éclatement de la didactique du français, les autres proposent une nouvelle spécification comme contrepoint au français langue d'intégration. Les critiques mêlent des arguments scientifiques mais également de politique linguistique et des arguments purement idéologiques. De nombreuses remarques ont porté notamment sur l'avant-propos en lui reprochant ses faiblesses scientifiques: c'était oublier que ses rédacteurs ne sont précisément pas des scientifiques et qu'ils écrivent en tant que responsables de la publication de ce référentiel, non en tant qu'experts. Ils écrivent comme premiers responsables des deux directions ministérielles (la DGLF-LF, du ministère de la culture et la DAIC du ministère de l'intérieur) qui ont pris conjointement l'initiative de la rédaction de ce référentiel. Ils ont tenu à cet égard à assumer leur texte, en le signant, de façon à ce qu'il ne soit pas confondu avec le travail des experts.

Sur le fond, nous voyons plusieurs causes à ces débats et à ces inquiétudes.

La première tient au fait que le choix des experts a sans doute pu froisser quelques susceptibilités en dérogeant à certaines règles de préséance. Or, ce référentiel est d'abord un outil de travail destiné aux professionnels de la formation des adultes. Les experts ont donc été choisis parce qu'ils connaissent intimement le terrain de la formation linguistique des adultes migrants, qu'ils soient professionnels ou chercheurs, ces derniers étant particulièrement peu nombreux. Des lecteurs extérieurs ont étésollicités et ont formulé des remarques très intéressantes mais qui portaient essentiellement sur l'avant-propos qui, nous l'avons dit, relève de la responsabilité des deux directions ministérielles. Les autres remarques des lecteurs extérieurs posaient des interrogations, certes tout à fait légitimes, mais qui portaient essentiellement sur l'orientation même du référentiel: elles n'auraient pu être intégrées sans remettre en cause la cohérence d'ensemble de ce travail. Par ailleurs, les remarques et les objections des relecteurs étaient parfois tout à fait contradictoires entre elles. Les experts sont tout àfait conscients du travail que ces lecteurs ont effectué et ils les en remercient, mais ils ont dû procéder à des choix d'orientation.

La seconde raison tient au fait que certains s'inquiètent du rapport entre les décrets publiés sur la naturalisation et la parution du label. C'est oublier que le label FLI arrive au bout d'un processus qui a débuté avec le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI) et le Diplôme Initial de Langue Française (DILF) qui ont mené à la reconnaissance, à la légitimation et à la structuration d'un champ éducatif dont nous avons dit qu'il avait été longtemps négligé. Le label FLI ne tombe pas «comme un cheveu sur la soupe» mais s'inscrit dans une logique que les acteurs de ce champ ont acceptée et soutenue; il s'inscrit dans une logique de hausse permanente de la qualité des prestations destinées aux migrants. Ce processus s'est accéléré en 2001 avec la transformation du FAS (Fonds d'action sociale), opérateur«historique» depuis 1959, en FASILD (Fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations), indépendamment des contextes politiques successifs. Les acteurs de terrain d'ailleurs, pour qui ce référentiel a été conçu, nous le rappelons, sont partie prenante de cette évolution et s'associent à cette nouvelle étape qualitative que représente le label FLI. Le CAI, le DILF et enfin le FLI s'inscrivent par ailleurs dans le combat mené depuis longtemps par les associations de défense des migrants pour le droit à la langue, c'est-à-dire pour le droit d'apprendre le français, condition indispensable, si elle n'est non suffisante, pour faciliter la vie sociale et citoyenne des migrants. Les experts se sont donc engagés en toute connaissance de cause dans ce travail parce-que, connaissant l'histoire de ce champ, ils ont mesuré l'opportunité que représentait le label FLI pour la reconnaissance des organismes de formation qui œuvrent avec compétence et combativité pour une meilleure insertion socioprofessionnelle des migrants en leur garantissant, entre autres, une qualitéd'enseignement/apprentissage de la langue d'usage en France. Le choix de travailler à ce label était également lié au niveau de langue requis pour l'obtention de la nationalité française. Celui-ci a été fixéau niveau B1 à l'oral, ce qui signifie que les migrants faiblement scolarisés et en difficulté à l'écrit conserveront cette «protection» que leur donnait le niveau A1.1. Ce niveau, par ailleurs, est celui exigé par de nombreux pays européens qui ne sont pas particulièrement répressifs en matière de politique d'immigration. Ce qui est frappant d'ailleurs concernant le débat actuel sur le niveau de langue exigé pour la naturalisation, c'est qu'au moment où a été institué le A1.1, le DILF avait étéaccusé d'être un diplôme au rabais pour les migrants. Le parcours de migrants qui pourront aller jusqu'à l'acquisition d'un niveau B1 à l'oral devrait bénéficier de financements et nous pouvons nous en réjouir pour les apprenants et les organismes de formation. Nous resterons vigilants à ce que les formations gratuites nécessaires pour atteindre le niveau B1 soient effectivement mises en œuvre et que le respect du principe du droit à la langue du pays d'accueil continue d'être garanti.

Concernant la spécification en FLI, nous avons tout d'abord une question: pourquoi s'offusquer de l'apparition du FLI alors que les autres spécifications citées n'ont pas fait l'objet d'une aussi intense critique au moment où elles sont apparues? Le FLE lui-même a d'ailleurs été considéré comme une spécification inutile au regard de la didactique du français (qui inclurait le FLM) voire de la didactique des langues en général. Le FLI est une notion en construction et l'objet du référentiel, qui n'est pas un texte scientifique mais un document d'orientation, n'est pas de le définir. Par ailleurs, comment peut- -on opposer aussi peu rigoureusement une notion «floue» (FLI) à des «concepts» soit disant stabilisés (FLE et FLS) quand on sait l'imprécision de ces deux derniers? Nul n'est en mesure de définir aujourd'hui précisément le FLS; quant au FLE, il est si évanescent qu'il relève du «ça va de soi», contre toute logique scientifique. Nous pensons que, plutôt que de s'alarmer face à l'éclatement de la didactique du français, il faut mesurer et analyser les conditions et les raisons qui conduisent àce qu'il convient d'appeler une crise de la didactique du français plutôt que de pratiquer l'invective et l'anathème. La didactique générale du français se cherche et ne se retrouve plus que dans ces particularisations; il est temps d'en comprendre les raisons. Concernant le FLI, les raisons qui conduisent à cette spécification reposent pour l'essentiel sur le fait que les didactiques sont nécessairement contextualisées et que, à cet égard, le champ éducatif de la formation linguistique des migrants adultes est un champ éducatif, professionnel et social distinct des champs d'intervention du FLE et du FLS notamment. Cependant, ces spécifications ne sont pas irréductibles l'une à l'autre, mais tout à fait complémentaires, comme c'est le cas du FLI avec le FLP (Français langue professionnelle) ou le FOS (Français sur Objectif Spécifique) par exemple. Plutôt que de nous complaire dans la nostalgie du temps qui passe, nous pensons urgent de mener une réflexion sur cette nouvelle configuration didactique, d'en dégager les lignes de force et les cohérences. Le FLI est une contribution à cette nouvelle construction et on ne peut pas lui demander d'être parfaitement défini dès sa naissance quand on sait que les appellations «historiques» ne le sont toujours pas, des décennies après leur apparition, tout en étant très largement utilisés par la communauté scientifique sans véritable examen critique. Par ailleurs, le champ du FLI fait partie du vaste ensemble de la formation d'adultes et de l'éducation permanente, dont il a emprunté bon nombre de pratiques et de valeurs depuis les balbutiements de l'alphabétisation des années 60 jusqu'aux orientations actuelles basées sur les apports de l'ingénierie de formation et de l'ingénierie pédagogique. La délimitation du champ ne peut s'effectuer qu'en le reliant à des ensembles plus vastes d'intervention éducative dont les cadres théoriques sont incontournables.

Les critiques portent également sur le fait que le référentiel serait un texte «assimilationniste». Au-delà du fait qu'il s'agit d'une critique d'ordre purement idéologique, et non scientifique, le référentiel est un équilibre entre les différentes sensibilités des experts où apparaît la nécessité d'aider les migrants, par l'apprentissage de la langue du pays d'accueil, à s'intégrer avec succès dans la sociétéfrançaise, mais tout en tenant compte de leur diversité. Ces orientations se situent dans l'esprit de ce qu'évoquent Archibald & Chiss (2007) (1): «Non seulement la langue citoyenne est une affaire d'état, mais aussi dans une large mesure la langue des organismes de la société civile qui par la force intégratrice de celle-ci rassemble bien des migrants autour d'activités qui exigent une connaissance de la langue commune pour pouvoir participer pleinement à la vie sociale et économique». Les orientations que propose le référentiel pour les compétences attendues des formateurs et les contenus de l'intervention didactique sont parfaitement clairs à cet égard. La meilleure façon, ici comme ailleurs, est de lire le référentiel et de ne pas se satisfaire des «bonnes feuilles» qu'une critique bien peu professionnelle a proposé de sélectionner pour «ceux qui n'auraient ni le temps ni l'envie de lire le texte». Le référentiel est accusé de propager cette introuvable idéologie monolingue qu'on ne trouve que dans le caricatural rapport Benisti. L'idée de s'appuyer au contraire sur les langues d'origine est intéressante, et nous ne la rejetons absolument pas, mais elle a été développée sur la base de recherches-actions dans le cadre de l'école. Concernant la formation linguistique des adultes migrants, bien peu de recherches-actions ont été menées et l'intervention didactique concrète ne peut se contenter de déclarations générales, fussent-elles d'origine universitaire, invitant à la prise en compte des langues d'origine. Là comme ailleurs, bien peu de chercheurs sont descendus sur le terrain de la formation des migrants adultes pour une expérimentation scientifique des professions de foi plurilingues et, surtout, pour les traduire en termes de contenus didactiques. Or ce terrain est pris par des contraintes qui ne sont pas celles de l'école et le modèle des expériences effectuées en milieu scolaire n'est pas exportable tel quel. Par ailleurs, s'agissant d'adultes, les références théoriques ne sont pas pédagogiques mais andragogiques. Qui connait un tant soit peu le terrain et ses acteurs sait que les conditions sont difficiles et que les formateurs ne sont pas que des enseignants. Devant l'urgence des situations, les contraintes matérielles, le temps court des formations (quelques centaines d'heures maximum dans le meilleur des cas), la question de la prise en compte obligatoire des langues d'origine dans les formations représente, pour l'instant, pour les apprenants et les formateurs, non pas un appui mais un poids supplémentaire dans la mesure où, faute de bases expérimentales éprouvées par la recherche-action, les acteurs seraient livrés à eux-mêmes.

Au-delà de cette question «technique» se profile cependant un autre débat de fond, politique. Le référentiel parle de deux conceptions de l'intégration des migrants, l'une qualifiée de multiculturaliste et l'autre de républicaine ou universaliste. C'est une opposition parfaitement connue que Todd, entre beaucoup d'autres, a mis au jour dès les années 80 et qui traverse de part en part toutes les familles politiques. Ce n'est donc pas en ce sens une opposition gauche-droite. Le référentiel, comme document d'orientation en matière de politique linguistique, a fait le choix d'un modèle d'intégration républicain et citoyen basé sur les principes issus des Lumières et de la Révolution Française. La critique de ce choix est parfaitement légitime mais elle doit se faire sur le plan explicite du débat idéologique et citoyen et non sur des bases présentées comme scientifiques. Les documents d'orientation du Conseil de l'Europe sont également des documents de politique linguistique et ils sont imprégnés d'idéologie. Cependant, ils représentent la doxa en matière de formation linguistique et l'examen critique des orientations politico-didactiques des textes du Conseil de l'Europe commence à peine. Nous sommes légitimement en droit de nous demander pourquoi de si percutants analystes, traquant l'idéologie politiquement incorrecte dans ce modeste référentiel, ont tranquillement avaliséles textes européens pourtant saturés d'idéologie? Encore une fois, nous pensons bien sûr que chacun a le droit d'adhérer à l'idéologie qui lui sied, y compris les chercheurs, mais il convient alors de porter le débat sur le terrain idéologique et de sortir des faux-semblants scientifiques.

Concernant les formations de master enfin, on assiste à une véritable entreprise de désinformation. Cette labellisation répond d'abord à une demande pressante du terrain notamment en termes de formations de formateurs : quiconque connait la réalité de la vie des organismes de formation sait la difficulté de recruter des formateurs capables de s'adapter à ce terrain si particulier après leur formation initiale en FLE ou en FLS. Un article est particulièrement évocateur à cet égard (Bruley-Meszaros, 20082), qui montre le désarroi des nouveaux venus sur le terrain de la formation des adultes migrants. Il ne s'agit pas de créer des masters exclusivement («mention») FLI, ce qui n'a pas de sens, mais des parcours spécialisés FLI dans des cursus généraux de didactique des langues, de sciences du langage, de sciences de l'éducation... Plusieurs universités ont d'ores et déjà pris cette orientation: rien ni personne ne contraint les universités à faire le choix du FLI, elles restent parfaitement libres de proposer les cursus qu'elles souhaitent. L'objectif est que des universités proposent des cursus intégrant la dimension FLI de façon à enrichir l'offre de formation nationale pour permettre ainsi aux étudiants intéressés de choisir leur cursus en fonction de leurs origines géographiques, de leurs parcours d'étude et de leur projet professionnel. Il n'est pas question de réserver le label FLI à quelques happy few: cette décision appartiendra à une commission indépendante prévue par le dispositif.

Que ce référentiel provoque un débat nous semble parfaitement légitime et cela fait partie de la vie scientifique. Cependant, plutôt qu'il ne passe par des pétitions, nous aurions souhaité qu'il s'appuie sur la confrontation d'expériences et de résultats de recherche convaincants. Or ceux-ci manquent cruellement dans le domaine. Nous invitons donc les lecteurs critiques de ce référentiel à descendre et nous rejoindre sur le terrain de la formation linguistique des migrants adultes afin de mener des recherches et des recherches-actions qui seraient forts utiles aux formateurs et aux apprenants.

Post Scriptum

En complément, nous proposons aux lecteurs de (re)lire l'article que nous mettons en lien ci-dessous3, qui nous paraît particulièrement éclairant.

1) Tout d'abord l'auteur, Christine Candide. Elle est la cheville ouvrière du FLI et, que ce soit sous l'égide du FAS, du FASILD, de l'ANCSEC, de l'ACSE ou de la DAIC, connaît particulièrement bien le terrain depuis longtemps.

2) Ensuite, le sujet abordé : il s'agit de la question que nous évoquons dans notre texte du droit àl'apprentissage de la langue du pays d'accueil. Cet article montre bien que le FLI s'inscrit dans la très longue durée et qu'il ne s'agit pas d'un "coup" préparé dans la précipitation pour d'obscures raisons. 3) Enfin, nous invitons le lecteur à considérer la date de parution de cet article (2001) en le replaçant dans le contexte politique de l'époque (gouvernement Jospin). Les gouvernements passent mais les orientations demeurent....

16/11/2011

Source : Médiapart

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