Le président PS de l'Assemblée nationale veut créer un organisme parlementaire en charge de l'intégration et indépendant de l'exécutif.
L'idée a germé avant que le sort d'une Rom de 15 ans vienne éclairer d'une lumière crue la faiblesse du débat politique sur l'immigration en France.
Claude Bartolone, le président PS de l'Assemblée nationale, veut créer un Office parlementaire des migrations, de l'intégration et de la nationalité. Il avait évoqué ce projet début octobre, expliquant que «l'intégration républicaine» constituerait, selon lui, une «question majeure des années et décennies qui viennent» et qu'il fallait que l'Assemblée «réinvestisse» ce sujet. Car, selon lui, «depuis 1945, il n'y a jamais eu de débat parlementaire sur cette question à l'Assemblée nationale». De fait, la gestion des étrangers en France est entre les seules mains de l'exécutif, et plus précisément du ministère de l'Intérieur, qui en définit l'alpha et l'oméga. Alors que Jean-Marc Ayrault a prévu de s'exprimer prochainement sur une refonte de la politique d'intégration, le sujet paraît pertinent.
Qu'est-ce que l'Office des migrations, de l'intégration et de la nationalité ?
Sa forme juridique n'est pas encore définie, mais il reposerait sur un collège d'experts universitaires et des parlementaires représentatifs, à la fois de la majorité et de l'opposition. Selon nos informations, ce projet sur lequel planchent les services de la présidence de l'Assemblée, via une série de consultations, pourrait potentiellement être sur pied d'ici un an - s'il était validé. L'idée : pouvoir proposer un programme permanent de recherche et d'évaluation sur des politiques d'intégration et d'immigration. En faisant travailler conjointement élus de la majorité et de l'opposition, le président de l'Assemblée espère ainsi pouvoir forcer les députés à dépasser le stade de la posture partisane et politicienne, autrement dit désensibiliser ce sujet trop souvent glissant. Comme cela avait été fait l'an passé avec la mission parlementaire rassemblant députés de droite et de gauche sur les immigrés âgés. Sauf que l'Office parlementaire des migrations, de l'intégration et de la nationalité a vocation à être pérenne. Le chercheur spécialiste de l'immigration Patrick Weil est assez enthousiaste sur la création d'un tel office : «Lorsqu'on entend Jean-François Copé remettre en cause le droit du sol, on se dit que ce serait bien que les parlementaires réfléchissent sur le fond.»
De quoi serait-il chargé ?
L'idée est qu'il récupère le gros morceau, c'est-à-dire la centralisation et la communication des données statistiques relatives à l'immigration, la présence et la situation des étrangers sur le sol français, données récoltées auprès des différents pouvoirs publics, ministères, de l'Insee, de l'Ined... Un enjeu central et ultrasensible. En 1990, cette tâche avait été confiée au Haut Conseil à l'intégration (HCI), mais en 2008, lors de la création du fameux ministère de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale, confié à Brice Hortefeux, cette prérogative lui avait été retirée pour retourner dans le giron du ministère de l'Intérieur. Qui en garde depuis précieusement le contrôle.
Quid de l'actuel Haut Conseil à l'intégration ?
Créé en 1989 par Michel Rocard, alors Premier ministre, cet organisme avait pour mission de «donner son avis et de faire toute proposition utile, à la demande du Premier ministre, sur l'ensemble des questions relatives à l'intégration des résidents étrangers ou d'origine étrangère». Mais il a au fil du temps perdu de son pouvoir et de son indépendance. Membre du HCI de 1996 à 2002, Patrick Weil parle même «d'une captation présidentielle»,développée sous Jacques Chirac et renforcée sous l'ère de Nicolas Sarkozy. Depuis plusieurs années, le Haut Conseil à l'intégration s'était d'ailleurs beaucoup recentré sur sa mission laïcité, en multipliant des rapports très alarmistes sur la question de l'islam en France. Depuis décembre 2012, le HCI est en état de quasi-mort cérébrale, les mandats de ses membres n'ayant pas été renouvelés. Son sort est aujourd'hui entre les mains de Matignon. Le rapport sur l'intégration du conseiller d'Etat Thierry Tuot, remis au Premier ministre en février, qui doit servir de base aux futures propositions sur la politique d'intégration du gouvernement, préconise une «refonte» du Haut Conseil à l'intégration. «Refonte» étant un doux euphémisme, puisque Thierry Tuot précise qu'il faudrait changer son nom, sa composition, son budget et ses missions. De son côté, Claude Bartolone s'est déjà prononcé pour une «suppression» pure et simple du HCI, qu'il range dans la catégorie des «comités Théodule», inefficaces et coûteux.
Une guerre Bartolone-Valls sur fond d'immigration ?
Le président de l'Assemblée nationale s'en défend, le futur office étant d'abord présenté comme un renforcement du rôle du Parlement sur ces questions. Reste que la différence d'approche politique sur ces questions entre les deux hommes est de plus en plus criante. Lors de l'épisode Léonarda, Claude Bartolone avait été un des premiers à réagir contre l'expulsion de l'adolescente dans un tweet. L'élu de Seine-Saint-Denis rappelait que la gauche «ne saurait transiger avec les valeurs, sous peine de perdre son âme».
26 octobre 2013, Alice GÉRAUD
Source : Libération