lundi 25 novembre 2024 12:47

Immigration et délinquance en France: le verdict des statistiques

Pour justifier le durcissement de sa politique anti-immigration, le gouvernement prétend que l’évidence statistique permet d’établir un lien de causalité entre immigration et délinquance. Deux questions se posent. Est-ce que les données françaises permettent réellement de tester ce lien de causalité ? Quelle est l’évidence disponible dans les pays étrangers ?

Les économistes se sont intéressés aux questions de crime et de délinquance depuis Gary Becker. Selon ce dernier, s’engager dans une activité criminelle plutôt que dans une active légale résulte d’une comparaison entre lescoûts, les risques et les bénéfices des deux activités. Le modèle initial s’est depuis enrichi pour prendre en compte le rôle des interactions sociales entre individus comme les effets d’émulation («peer effects»). Cette approche a permis de mettre à jour l’effet statistique de l’âge, du niveau d’éducation, des opportunités sur le marché du travail, et de l’activité policière dans le risque de délinquance. En conséquence, établir le rôle causal d’un déterminant additionnel de l’activité délinquante - par exemple, le statut d’immigré - nécessite de contrôler les caractéristiques dont le rôle est déjà connu, comme l’âge ou le niveau d’éducation.

Les données fournies en France par les forces de police de gendarmerie sur des personnes mises en cause dans des crimes et délits ne donnent que trois caractéristiques démographiques : le sexe, le statut (majeur ou mineur) et la nationalité (étrangère ou française). Si on exclut les violations à la législation sur le séjour des étrangers, le pourcentage d’étrangers mis en cause est autour de 11 à 12 %. Un premier problème déjà soulevé est que le pourcentage d’étrangers ne peut être comparé au pourcentage d’immigrés dans la population française (6 %) puisque ce dernier chiffre ne se réfère qu’aux étrangers résidents en France.

Un problème plus fondamental est qu’en absence d’informations sur l’âge ou le niveau d’éducation, il est impossible de conclure que la nationalité joue un rôle additionnel dans la délinquance. Ce chiffre de 12 % peut refléter non pas la surreprésentation des étrangers dans la délinquance mais seulement leur surreprésentation dans des catégories d’âge, d’éducation ou de situation socio-économique qui sont associées à un risque de délinquance accrue. En conséquence le lien de causalité entre immigration et délinquance n’est pas établi en France.

Au contraire des données françaises, les données américaines permettent de contrôler les caractéristiques démographiques et d’éducation mais aussi de différencier l’origine des immigrés. Le fait majeur mis au jour par les économistes Kristin Butcher et Anne Morisson est que les immigrés ont des taux d’incarcération cinq fois moins élevés que les citoyens nés aux Etats-Unis qui ont le même niveau d’éducation. Ce fait s’explique non pas par le risque d’expulsion des immigrés condamnés mais par une sorte d’autosélection des candidats à l’immigration qui les rend moins susceptibles de commettre des crimes et délits. Les données américaines permettent aussi de mesurer la délinquance de la seconde génération d’immigrants. Le taux de délinquance de la seconde génération d’immigrants est nettement plus fort que celui de la première génération et équivalent ou légèrement supérieur à celui des citoyens de même niveau d’éducation et nés de parents américains.

Au Royaume-Uni, une équipe de recherche menée par Steven Machin a étudié les effets sur la délinquance de deux vagues successives d’immigration. La première vague, à la fin des années 90, correspond à l’afflux de demandeurs d’asile en provenance de pays en guerre (Afghanistan, Irak et Somalie). La seconde vague, à partir de 2004, résultait de la décision prise par le Royaume-Uni d’ouvrir immédiatement, à la différence de la France, son marché du travail aux nouveaux pays accédants à l’Union européenne (Pologne, Hongrie, etc..).

Les résultats de l’étude montrent qu’aucune des deux vagues n’a été associée à une hausse des violences contre les personnes. Seule la première vague fut suivie d’une légère hausse du taux d’atteinte aux biens (de 2,5 à 2,7 %). Au final, l’étude valide le modèle de Gary Becker : les opportunités de travail légal constituent un déterminant essentiel du niveau de délinquance. Les immigrants de la première vague eurent un accès difficile au marché du travail parce qu’ils devaient attendre longtemps la décision finale sur leur demande d’asile alors que ceux de la seconde vague furent rapidement intégrés.

Romain Rancière est chercheur à l’Ecole des Ponts et Chaussées et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris.

Source : Libération.fr

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