La majorité des citoyens turcs se disent inquiets par rapport à l'immigration légale et illégale dans leur pays, c'est ce que révèle une enquête réalisée auprès de l'opinion publique turque, américaine et européenne. Astrid Ziebarth, directrice du Programme d'immigration et d'intégration du German Marshall Fund's (GMF), institution américaine de politique publique qui promeut les relations transatlantiques, note que la Turquie, d'abord pays d'émigration, est devenue un pays de transition migratoire.
Quelle est la taille de la population immigrante en Turquie ? Quel est le point de vue de l'opinion publique sur l'immigration ?
L'un des grands problèmes rencontrés par les chercheurs et les législateurs dans le domaine de l'immigration est le manque de chiffres précis sur le nombre de migrants en Turquie. Dans notre étude, nous avons repris les statistiques de l'OCDE de 2000, qui montrent que la population immigrante en Turquie est d'environ 2 %, même si d'autres chiffres estiment ce pourcentage à environ 5 ou 6 %. En général, les gens surestiment le nombre d'immigrants. En Turquie, ils pensent que plus d'un cinquième de leur population, soit 23 %, est migrante. Avant, c'étaient surtout les Turcs qui partaient en Europe de l'Ouest pour travailler dans les années 1960 et 1970. Mais le pays est devenu un pays de transition migratoire de citoyens irakiens, iraniens, afghans ou encore africains. Grâce à sa croissance économique, la Turquie deviendra bientôt un pays d'accueil dans le sens où les immigrants souhaiteront y rester et non plus y transiter. Nous constatons également le retour de nombreux Germano-turcs sur les terres d'origine de leurs parents et grands-parents. Ces mouvements de population en Turquie se reflètent également dans la politique turque avec le vote en avril 2013 de la toute première loi sur l'immigration et l'asile : la loi sur les étrangers et la protection internationale.
Comment évaluez-vous les inquiétudes des Turcs vis-à-vis de l'immigration ?
Le problème avec les sondages sur l'immigration, c'est que nous ne savons pas qui nos interrogés ont en tête lorsqu'ils répondent à nos questions. C'est ce que certains chercheurs nomment l'«immigrant imaginaire». Il peut s'agir de migrants internes, de demandeurs d'asile, d'ingénieurs high-tech, de migrants de retour au pays, de migrants de première ou de deuxième génération, de réfugiés... C'est pourquoi, dès le début, dans nos questions, nous avons bien différencié les immigrants légaux des clandestins. Car c'est ce critère qui influe le plus le sentiment général des citoyens vis-à-vis des immigrants. Dans beaucoup de pays comme le Portugal, l'Italie ou la Grande-Bretagne, 80 % de la population est préoccupée par l'immigration clandestine. En Turquie, ce pourcentage s'élève à 69 %. En revanche, les chiffres baissent considérablement lorsqu'on parle d'immigration légale, sauf pour la Turquie. 60 % de Turcs se disent en effet inquiets de l'immigration légale, contre 41 % de Britanniques. Les résultats prouvent que les Turcs ne font pas la différence, ou du moins pas encore, entre l'immigration légale et clandestine. Ou peut-être les Turcs sont-ils influencés par l'augmentation du nombre de réfugiés syriens, que certains pourraient considérer comme des migrants légaux.
70 % d'interrogés turcs disent que les immigrants prennent les emplois des citoyens turcs, comment expliquer ce pourcentage élevé?
Peut-être que les Turcs pensent aux migrants internes de l'est et du sud de la Turquie et nourrissent des préjugés envers certains groupes. Ce sentiment peut s'expliquer par le fait qu'ils voient de plus en plus de travailleurs migrants peu qualifiés dans le secteur agricole, qui emploie habituellement une forte main-d'oeuvre native. Mais seul 1/4 des Turcs pensent qu'il y a trop d'immigrants dans leur pays, alors qu'ils sont 55 % en Grande-Bretagne et 43 % en France. En même temps, la vision d'une immigration dont l'impact positif sur l'économie semble être plutôt partagée puisque 52 % des Turcs reconnaissent que les immigrants occupent des postes où il y a un manque de travailleurs, et 44% d'entre eux sont d'avis que l'immigration contribue à la création d'emploi.
07/10/2013, Yonca Poyraz Doğan
Source : Zamane France