lundi 25 novembre 2024 01:45

L'interdiction du voile intégral devant la Cour européenne

Ironie du sort. Alors même que la cour d'appel statue mercredi sur la très sensible affaire Baby Loup, s'ouvre, à quelques minutes près, l'audience de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) concernant l'interdiction du voile intégral en France.

Le cas a été porté devant la juridiction européenne, le jour même de l'entrée en vigueur du texte, le 11 avril 2011. C'est une justiciable française dont on ne connaît que les initiales, S. A. S., qui conteste la loi française qui stipule que «nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son vi­sage». La plaignante affirme porter burqa ou niqab «pour être en accord avec sa foi, sa culture et ses convictions personnelles». S. A. S. précise porter le niqab «en public comme en privé, mais pas de façon systématique». Elle accepte de ne pas le porter tout le temps dans l'espace public, mais «souhaite pouvoir le faire quand tel est son choix, en particulier lorsque son humeur spirituelle le lui dicte». Mais l'affaire est avant tout menée depuis Birmingham, cette ville du Royaume-Uni qui compte 200 mosquées et où 21 % de la population se reconnaît de confession musulmane. C'est le très moderne et très dynamique cabinet d'avocats JM Wilson, spécialisé dans le droit d'asile, les questions d'immigration et de droits de l'homme, qui défend cette ­jeune Française qui d'ailleurs ne sera pas à l'audience. Les bons connaisseurs de ce type de saisine devant la CEDH, s'étonnent que «la plaignante n'ait pas éprouvé la nécessité d'épuiser toutes les voies de recours devant les tribunaux français, avant d'aller frapper à la porte de la Cour européenne».

La décision n'est pas attendue avant la mi-2014

Cette dernière ne prend pas l'affaire à la légère, puisqu'elle l'a d'emblée confiée à la Grande Chambre. Saisie de manière très exceptionnelle, elle est présidée par le président lui-même de la CEDH, de ses vice-présidents, des présidents des sections ainsi que du juge national et de juges tirés au sort, soit une bonne douzaine de juges. Une solennité qui en dit long sur l'importance de la décision qui n'est pas attendue avant la mi-2014. Jusque-là, en tout cas en matière de droit du travail, la Cour européenne des droits de l'homme a régulièrement défendu dans plusieurs de ses arrêts que «la liberté de conscience est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents». De même «la liberté de manifester sa religion» n'exclut pas «les limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun».

La décision de la Cour européenne ne sera pas sans effet pour le droit français

Enfin, elle n'a pas manqué de rappeler «qu'en France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel». C'est d'ailleurs un principe connexe que défendra le représentant du Quai d'Orsay qui interviendra pendant le procès. Selon un diplomate, il devrait rappeler l'exposé des motifs de la loi française invoquant un contrat social dont l'un des principes et d'interdire que «quiconque soit enfermé en lui-même, coupé des autres tout en vivant au milieu d'eux». À la CEDH d'estimer, comme le souligne Me Patrice Spinosi, avocat spécialisé dans la question des droits de l'homme ayant plusieurs fois gagné des recours contre la France, si cette der­nière «peut interdire le port du voile dans la totalité de l'espace public sans exception. La CEDH a pour habitude de raisonner en termes de proportionnalité entre les nécessités d'ordre public et l'atteinte aux libertés individuelles», rappelle-t-il.

Une chose est sûre, la décision de la Cour européenne ne sera pas sans effet pour le droit français. «Il y a obligation, précise Me Spinosi, pour les cours suprêmes des États européens ou pour les législateurs nationaux, de tirer les conséquences des décisions de la Cour européenne.» Et de rappeler que la réforme de l'usage de la géolocalisation, celle de la garde à vue, du traitement des détenus ou, plus anciennement, la reconnaissance des enfants adultérins ou la possibilité pour les transsexuels de changer d'identité avaient toutes pour origines des décisions de la CEDH.

26/11/201, Paule Gonzales

Source : Le Figaro

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