Journaliste spécialiste des questions d'intégration et d'immigration, Laetitia Van Eeckhout a travaillé pendant cinq ans (de 2005 à 2010), au journal le Monde. De cette expérience de terrain elle tire un livre : « France Plurielle : le défi de l'égalité réelle » (éd. Folio actuel), qui dresse le portrait d'une France qui ne parvient pas à accepter la différence.
Respect mag: Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux questions d'immigration ?
Laetitia Van Eeckhout: C'était un choix, j'ai demandé à suivre ces sujets au sein de la rédaction du Monde. J'ai eu envie de me pencher sur la question de la diversité. Elle a émergé au moment où je suivais ces questions, avec notamment l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy et de ses discours très...ambivalents.
Comment vous est venue l'envie d'écrire un livre ?
Le déclic est venu à force de rencontrer des gens, d'accumuler des connaissances et d'entendre des discours complètement déplacés et reposant sur des a priori. J'ai voulu poser à plat ma réflexion et essayer de faire comprendre ce qui bloquait dans la société française.
Votre livre est-il engagé ?
Engagé, je ne sais pas. Mais j'avais envie de livrer ma réflexion et d'appeler les politiques et la société française à repenser les questions d'intégration. L'idée c'était de poser les choses à plat. Je me suis appuyée sur des études souvent méconnues pour rappeler un certain nombre de faits.
Il y a-t-il en France un recul de l'intégration ?
C'est toute la question de l'acceptation de la différence qui est difficile en France. On a l'impression qu'il y a recul parce que les flux migratoires ont évolué. Jusque-là, les immigrés étaient soit européens soit issus des colonies, aujourd'hui les immigrés viennent de plus loin. Ce sont des personnes qui sont visiblement et culturellement plus différentes. Pour autant ce ne sont pas des gens qui rejettent les valeurs de la République. Pour l'essentiel, ils veulent se fondre dans la République, s'ils ont choisi la France ce n'est pas pour rien. Comme je le rappelle dans mon livre, certes il y a le droit à l'indifférence mais il faut également être capable d'accepter les particularismes.
Le communautarisme existe-t-il en France ?
A priori non. La France, contrairement au modèle anglo-saxon, ne raisonne pas en termes de communautés. Mais il faut faire attention, à force de discours ostracisants, certains Français risquent de se replier sur eux-mêmes.
Quelle conception de la laïcité défendez-vous ?
Je défends une laïcité ouverte. La laïcité suppose d'accepter toutes les religions dans l'indifférence. Aujourd'hui, on en met certaines de côté. Si je prends l'exemple du rapport Stasi*, on a retenu une seule mesure : l'interdiction du port du voile à l'école. Or le rapport contenait pleins d'autres mesures d'acceptation de la religion musulmane, comme par exemple la présence d'aumôniers musulmans dans les prisons, des menus adaptés à tous dans les cantines scolaires... Beaucoup de ces mesures positives sont passées à la trappe.
Vous préfacez votre livre avec cette citation de Léon Gambetta : « La vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire. » La France est-elle une vraie démocratie ?
Dans le contexte mondial, la France est une vraie démocratie. Cela ne l'empêche pas de pêcher sur certains points et notamment sur la défense des valeurs qu'elle prône. L'égalité, par exemple, qui figure au fronton des mairies, n'est pas une réalité pour beaucoup de français, notamment ceux issus des minorités visibles.
Dans votre livre vous parlez de la victoire d'Obama et appelez de vos vœux un « Yes, we can » français, pensez-vous que la France soit prête à élire un président issu des minorités visibles ?
Non, très clairement. Lorsque Dominique Strauss-Kahn était encore perçu comme présidentiable, la question de ses origines juives avait été posée. Le fonctionnement de la vie politique et globalement l'état d'esprit de la France, empêchent l'émergence de candidats issus des minorités visibles.
Pourquoi les politiques de lutte contre les discriminations ne sont-elles pas efficaces ?
Parce qu'il manque une volonté politique. La France n'admet pas l'existence des discriminations raciales. Le débat, sur la suppression du mot "race" de notre Constitution en est l'exemple. Cet amendement est d'une incongruité totale. C'est une mesure pour se donner bonne conscience, alors qu'il faudrait se donner les moyens de lutter contre les discriminations. La mesure sur l'encadrement des contrôles au faciès aurait été un premier pas vers une politique publique efficace.
23 Septembre, 2013, Olivia Villamy
Source : respectmag.com