Environ 20 000 personnes ont péri depuis vingt ans en tentant d'atteindre le Vieux Continent.
Ils meurent asphyxiés dans la cale d'un navire, noyés à quelques centaines de mètres de la côte, de faim, de soif, d'hypothermie. Ils meurent en mer, dans le désert du Sahara, dans les trains d'atterrissage d'avions de ligne, cachés sous des trains. Ils meurent sous les tirs de la police aux frontières. Ils se suicident.
Combien sont-ils précisément ? Il est très difficile de chiffrer le nombre des morts de l'immigration aux portes de l'Europe. Les cadavres recensés cachent tous ceux qui n'ont jamais été retrouvés. Malgré tout, les ONG arrivent à croiser des informations, entre les chiffres de garde-côtes, ceux de l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex et les témoignages des migrants eux-mêmes - pour beaucoup éligibles au statut de réfugié. Elles s'accordent sur le chiffre d'environ 20 000 migrants morts en tentant de traverser la Méditerranée pour rentrer en Europe ces vingt dernières années. L'association Migreurop a mis en ligne une carte qui tente de recenser et situer le nombre de morts et leurs causes entre 1993 et 2012. L'association Fortress Europe tient aussi le compte des morts recensés, naufrage par naufrage.
«Ces dernières années, 2011 a représenté un pic, avec 1 500 à 2000 morts, en raison du fort nombre de candidats à l'émigration dans le contexte du printemps arabe et de la guerre en Libye. Il y a ensuite eu moins de morts en 2012, mais en 2013 ce chiffre repart à la hausse», détaille Katy Booth, responsable du bureau migrants de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
Espagne, Italie, Grèce, Malte... Les voies de l'immigration fluctuent au gré du durcissement des politiques migratoires des pays européen, des accords bilatéraux de réadmission, de la situation géopolitique des pays des candidats au départ. Focus sur quatre des «nœuds» de l'immigration vers l'Europe aujourd'hui.
Lampedusa
Le naufrage du 3 octobre a rappelé aux Européens l'existence de cette île italienne située à 200 km au sud de la Sicile et proche des côtes africaines. Au moins 211 Erythréens et Somaliens entassés sur un bateau de pêche parti clandestinement de Misrata, en Libye, ont péri ce jour-là en mer. Il y a un an, le 6 septembre 2012, un bateau parti de Sfax, en Tunisie, avec plus de 100 personnes à son bord, a coulé dans la même zone. Seules 56 personnes ont pu en réchapper, deux cadavres seulement ont été repêchés.
Katy Booth, de la FIDH, rappelle l'histoire du zodiac parti en mars 2011 de la Libye, alors en guerre, pour l'Italie. A bord, 72 migrants. Rapidement, l'embarcation se perd en mer. «Malgré leurs signaux de détresse répétés, reçus par les garde-côtes italiens et d'autres navires, personne ne leur est venu en aide. Après 15 jours de dérive, le bateau a été rejeté sur les côtes libyennes avec 11 survivants seulement [lire le témoignage de l'un d'entre eux recueilli par Libération]. Ils ont raconté que certains, à bord, n'avaient pas supporté de survivre au milieu de cadavres et avaient fini par se jeter à l'eau.» Deux des rescapés sont morts après le débarquement.
Le flux de migrants vers l'Italie est reparti nettement à la hausse. Entre janvier et septembre 2013, plus de 31 000 personnes sont arrivées en Italie par la périlleuse route dite de la «Méditerranée centrale» sur des embarcations surchargées, selon l'agence européenne de surveillance aux frontières Frontex. Ils étaient environ 10 000 en 2012. La plupart, partis de Tunisie ou de Libye, transitent par Lampedusa et la Sicile, mais aussi par les côtes de Calabre et Malte. Il s'agit surtout de Somaliens, Érythréens, Somaliens, et, de plus en plus, de Syriens fuyant leur pays en guerre. Le 10 août dernier, six hommes ont été récupérés sur une plage de Sicile, morts faute d'avoir pu rejoindre la rive à la nage.
Les Canaries
L'archipel espagnol reste l'une des portes d'entrée en Europe, même si après un pic à 31 000 arrivées de migrants en 2006 le flux a considérablement chuté en raison des politiques de lutte contre l'immigration clandestine. Ils n'étaient plus que 170 en 2012, selon l'agence Frontex. Néanmoins, des candidats à l'immigration, partis pour la plupart du Maroc, continuent à tenter leur chance. Ce 25 août 2013, 26 migrants ont été «secourus» par une patrouille dans une barque au large de Ténérife.
Deux drames parmi d'autres : en août 2006, seize migrants sont morts de faim et de soif en tentant de rejoindre les Canaries. Ils s'étaient perdus en mer au large de la Mauritanie. 6 000 migrants auraient péri cette année-là en tentant la traversée, selon les autorités espagnoles. Et en février 2009, Au moins 19 personnes se sont noyées, sous les yeux des vacanciers, quand leur embarcation surchargée a fait naufrage à vingt mètres d'une plage de Lanzarote.
Ceuta et Melilla
Ces enclaves espagnoles au nord du Maroc sont les deux seules frontières terrestres entre le continent africain et l'Europe. Après des tentatives d'entrées massives de plusieurs centaines de clandestins, en quelques jours, entre août et septembre 2005 qui ont fait une dizaine de morts, l'Espagne a décidé de renforcer ses barrières. Sur les dix kilomètres de la frontière qui entoure Melilla, le grillage existant de trois mètres a été doublé. Entre les deux grilles se trouve une piste où patrouille la garde civile, avertie d'une éventuelle tentative de passage par des radars qui détectent tout mouvement jusqu'à deux kilomètres de distance en territoire marocain.
Les tentatives d'escalade, malgré ce mur, continuent. Le 11 mars, 25 personnes ont été blessées à Melilla alors qu'elles tentaient de franchir la frontière. Un Camerounais de 30 ans est mort à la suite de ses blessures. Le 19 septembre dernier, à Melilla toujours, des caméras de sécurité ont filmé, de nuit, des grappes humaines s'agrippant aux grillages puis entrer sur le sol espagnol.
Evros
Autre point majeur de passage, la frontière gréco-turque, que tentent de franchir chaque année plusieurs milliers d'Afghans, d'Irakiens, de Pakistanais, de Somaliens, de Syriens... Ils convergent vers une petite bande de 12 kilomètres, bout de frontière terrestre le long d'un coude du fleuve Evros en territoire turc. En 2010, l'Evros a vu passer plus de 37 000 migrants, d'après les données de Frontex. Le passage est moins dangereux que la traversée maritime, mais il reste risqué. début 2012, une Palestinienne est ainsi morte de froid et deux autres Afghans dont une enfant sont portés disparus, bloqués par une crue avec quatorze autres candidats à l'immigration sur une bande de terre de l'Evros, alors qu'il faisait -10 °C. En 2011, plus de dix migrants ont péri, morts de froid ou noyés, à Evros.
Depuis l'important renforcement du dispositif de contrôle du passage d'Evros par les Grecs et par Frontex (lire le reportage de Libération), le flux s'est déplacé vers la voie maritime pour rejoindre les îles grecques de Samos, Symi, Farmakonisi... Mécaniquement, le risque de mourir en mer augmente. «Plus les frontières se renforcent, et plus les migrants prennent des voies dangereuses», souligne Katy Booth, de la FIDH.
7 octobre 2013, Cordélia BONAL
Source: Libération