dimanche 24 novembre 2024 20:26

Matignon rouvre le chantier des politiques d'intégration

Cinq groupes de travail ont été constitués pour repenser l'intégration dans la société des Français issus de l'immigration.

Dans le domaine de la formation, de l'emploi ou de la culture notamment, ces groupes qui mêlent experts, professionnels et associatifs doivent aboutir à des propositions d'ici à la fin du mois de septembre.

Avec cet article
Le gouvernement veut améliorer le sort des immigrés âgés

Matignon vient de mettre en place cinq groupes de travail chargés de se pencher sur les difficultés rencontrées par des immigrés installés depuis longtemps dans le pays, ou par des Français de la deuxième ou troisième génération, à prendre leur place dans la société. Ils travailleront sur des thèmes aussi variés que l'accès aux droits, la formation, l'emploi, la culture ou la citoyenneté. Si la méthode s'inspire de la préparation du plan de lutte contre l'exclusion dévoilé en janvier dernier, elle est aussi une manière de donner suite au rapport très iconoclaste du conseiller d'État Thierry Tuot.
Donner un champ plus vaste à la question de l'intégration

Le haut fonctionnaire, répondant à une commande du premier ministre sur les politiques d'intégration en France, avait pris beaucoup de libertés en préconisant, en février, la régularisation massive des étrangers en situation irrégulière et l'accès facilité à la nationalité française. Autant de pistes qui n'avaient pas manqué d'embarrasser le gouvernement, qui s'en tient à une logique de gestion rigoureuse des flux migratoires. Le rapport, qui avait été d'abord rangé au-dessous de la pile, devrait désormais servir de source d'inspiration aux groupes de travail. « Ce chantier concerne des milliers de personnes qui en ont assez d'être ramenées au fait migratoire alors qu'elles sont là depuis toujours ou depuis très longtemps. Nous voulons sortir la question de l'intégration du seul ministère de l'intérieur pour lui donner un champ beaucoup plus vaste », souligne le conseiller du premier ministre en charge du dossier.

Les membres du groupe de travail, issus du monde universitaire, associatif, syndical, ou encore des services publics, ont jusqu'à fin septembre pour rendre leurs conclusions, sur lesquelles une douzaine de ministres devront s'engager dans un plan pluriannuel. « L'objectif n'est pas de créer du droit spécifique envers tel ou tel type de population, mais de faire en sorte que le droit commun accueille tout le monde », prévient le conseiller.
Inégalités face aux diplômes et à l'emploi

Près de sept millions de descendants directs d'immigrés vivent en France. En moyenne, ils ont un niveau de vie médian de 15 % inférieur à celui du reste de la population, selon une étude récente de l'Insee. Les inégalités se creusent dès le plus jeune âge : 18 % les enfants de migrants sortent du système éducatif sans diplôme, contre 12 % pour l'ensemble des élèves scolarisés dès le primaire sur le territoire.

Plus tard, les écarts demeurent. Ils ne se creusent toutefois pas de la même manière selon les origines. Alors que 82 % des descendants d'immigrés venus d'Europe ont un emploi cinq ans après leur sortie du système éducatif, se rapprochant fortement des données de la population majoritaire, les enfants de parents venus d'Afrique ne sont que 61 % à avoir trouvé un travail.
Renforcer le poids du tissu associatif

Concernant ces Français nés de parents étrangers, nombre d'experts appelés à participer à la réflexion se demandent s'il faut continuer à parler d'« intégration ». « Je préfère le terme de "société inclusive", beaucoup plus large et qui ne renvoie pas nécessairement aux origines des personnes », explique Khalid Hamdani, directeur de l'Institut éthique et diversité, en charge du groupe de travail « Mobilités sociales ». Ce dernier envisage déjà plusieurs pistes pour stimuler l'accès des enfants d'immigrés à la classe moyenne. « Beaucoup se heurtent à la difficulté de créer une entreprise ou une activité, alors que l'envie est très forte, au point que de plus en plus émigrent dans d'autres pays sous des cieux plus cléments. Il y a là des choses à inventer pour mieux les soutenir », anticipe-t-il.

Sans préjuger des mesures qui seront adoptées, Matignon souhaite d'ores et déjà donner plus de poids au tissu associatif dans les territoires où les populations issues de l'immigration sont les plus concentrées. Aujourd'hui, seules 1 500 structures non lucratives de proximité s'investissent sur les questions d'intégration en France. Elles étaient 6 000 il y a encore quelques années.
Azouz Begag : « La seule solution pour ces jeunes, s'exiler à leur tour »

Selon Azouz Begag, ancien ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances de 2005 à 2007, « dès le départ, après la Seconde Guerre mondiale, la politique migratoire de la France s'est basée sur un malentendu : on pensait que ces millions de travailleurs étaient présents sur le territoire national de façon temporaire. L'autre faiblesse du "modèle français d'intégration", c'est que notre pays vit, depuis la Révolution, sur le mythe républicain de l'égalité et, du coup, refuse de voir les discriminations. La situation actuelle résulte, enfin, d'un rendez-vous raté. Dans les années 1980, alors que naissait la Marche des beurs, la gauche a failli : elle n'a pas cherché à intégrer politiquement ces jeunes qui ne demandaient qu'à être considérés comme des citoyens français à part entière.

Sur 577 députés, seuls deux sont issus de l'immigration maghrébine. Sur 36 000 maires, cinq à peine portent un nom à consonance arabe... Aujourd'hui, on paie les conséquences de cette erreur. Et je suis relativement pessimiste pour l'avenir car les marges de manœuvre semblent à peu près nulles, en raison de la crise. Sans croissance, il est plus difficile d'imposer une démarche pertinente comme la Charte de la diversité, qui vise à débarrasser le terrain de l'emploi de toutes formes de discrimination. Du coup, pour beaucoup de jeunes issus de l'immigration, la seule solution est de s'exiler à leur tour vers la Grande-Bretagne, les États-Unis ou le Qatar, où on leur donnera peut-être davantage leur chance. »

14/7/13, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS et DENIS PEIRON

Source : La Croix

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