lundi 25 novembre 2024 16:24

Migration: «Comment sortir de la violence des mémoires et affronter les enjeux du présent ? »

Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’Algérie et à l’immigration, l’historien Benjamin Stora anime une conférence lundi 6 juin, à la médiathèque d’Évreux.

«Comment sortir de la violence des mémoires et affronter les enjeux du présent ? » : c’est le thème de la conférence que Benjamin Stora, historien spécialiste de l’immigration maghrébine en Europe, animera lundi 6 juin à la médiathèque d’Évreux. Président du conseil d’orientation du musée de l’Histoire de l’immigration depuis 2014, l’universitaire a rédigé une trentaine de livres sur l’Algérie. Il a également coécrit avec Alexis Jenni Mémoires dangereuses (éditions Albin Michel, décembre 2015). Rencontre.

« Dans l’exil, il y a le sentiment de voyage sans retour

Vous dites que la France a du mal à se voir comme un pays de migrants...

« Depuis le début du XXe siècle, il y a eu des vagues de migrations successives, qui ont contribué à la construction de l’identité française. Mais on n’a pas mesuré à quel point ces migrations avaient joué un rôle important lorsque les nouvelles sont apparues. On s’est aperçu que l’on avait pris beaucoup de retard dans la compréhension de ce qu’était devenue la France. Les vagues migratoires, dans les années 1950 à 1980, ont commencé à poser des problèmes nouveaux en rapport avec l’histoire coloniale, la religion de l’Islam qui est apparue en France. Avec la crise économique, les questions migratoires prennent un tour de plus en plus aigu. »

Vous avez connu l’exil en quittant l’Algérie au début des années soixante. À votre avis, quel était l’état d’esprit des immigrés africains qui ont débarqué dans le quartier de La Madeleine, pour reconstruire leur vie à Évreux ?

« Dans l’exil, il y a toujours des points communs : la perte de la terre natale, le sentiment de voyage sans retour. Les racines linguistiques restent présentes dans la tête et ces sensations ne peuvent pas s’effacer. Les migrations ne sont jamais effectuées de gaieté de cœur. Il faut s’arracher à un quartier, une famille pour des raisons sociales, historiques.

« La France terre d’accueil et de liberté »

Moi, j’avais ce sentiment d’arriver dans un pays en paix, où les gens vivent normalement, vont au travail, où l’exercice de la liberté publique est garantie, c’est fondamental. Il y a un effet assez rapide d’attachement à la France, terre d’accueil et de liberté. »

Estimez-vous, comme l’universitaire et historien François Durpaire, qui est venu l’an dernier à Évreux, que les jeunes issus de l’immigration ne sont pas du tout sûrs aujourd’hui d’avoir une situation plus enviable que leurs parents ?

« C’est valable pour toute la jeunesse française. La jeunesse d’origine immigrée est partagée entre cette peur du déclassement par rapport aux parents, et le refus de la discrimination et du racisme. À ma connaissance, il n’y a pas de stratégie élaborée de retour. Ça n’existe pas. Il y a plutôt une stratégie d’entrée dans la société française. C’est en s’appuyant sur ce désir d’entrée que l’on peut relever les défis de la lutte contre les discriminations et du droit à l’embauche. »

Depuis les attentats de novembre, des tags racistes et antisémites fleurissent régulièrement sur les murs d’Évreux. Qu’en déduisez-vous ?

« Il y a toujours eu en France ce phénomène de droite révolutionnaire, avec des gens dans une posture de fermeture identitaire, de peur de l’avenir, de rétractation nationale. Ce courant idéologique a toujours existé. Est-il très puissant ? C’est difficile à évaluer. Il s’est renforcé, mais est-il majoritaire ? Je ne le crois pas. La société française a une capacité de rebond, de résistance, adossée à une vieille tradition de culture démocratique et républicaine. »

Choix présidentiel et guerre des mémoires

Le thème de la conférence que vous animez fait écho à la polémique sur la date du 19 mars pour commémorer les victimes de la guerre d’Algérie. Ce choix présidentiel entretient-il justement la guerre des mémoires ?

« Tout choix de date pour la fin de la guerre d’Algérie pose problème. Chaque groupe qui porte cette mémoire s’arc-boute sur une date. Elle était proposée depuis longtemps par un certain nombre d’associations d’anciens combattants. Le groupe le plus important de cette guerre - ils étaient un million et demi - reste celui de ces jeunes Français qui sont partis en Algérie, de 1955 à 1962. Ils n’ont jamais eu de reconnaissance en tant que tels. La date du 19 mars marque le retour en métropole de ceux qui étaient présents sur le sol algérien. »

On vous dit proche de François Hollande, que vous connaissez depuis 2006. L’avez-vous aidé dans ce choix ?

« Non, il s’est rallié à cette date-là. Il a pris sa décision tout seul. Une fois sa décision prise, j’ai pu l’aider, rencontrer ses conseillers sur la cérémonie en elle-même. »

Propos recueillis par Vincent Folliot

Conférence de Benjamin Stora lundi 6 juin à 20 h à la médiathèque (salle de conférences) d’Évreux. Une vente-signature, proposée par la librairie Gibert-Joseph, suivra la conférence. Entrée gratuite, réservation conseillée au 02 32 78 85 00, ou via l’adresse mail mediatheque.mairie(at)evreux.fr

01/06/2016

Source : París Normandie

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