mardi 26 novembre 2024 01:32

Quel islam pour l’Europe ?

Ces dix dernières années ont été ponctuées par l’émergence du concept de « l’islam européen ». S’agit-il d’une nouvelle version de l’islam ou juste le résultat d’une crise identitaire, politique et religieuse qui s’opère entre l’islam et les sociétés européennes ?

On assiste ces dernières années à la montée d’une culture baptisée «l’islam européen». Un concept que certains chercheurs renvoient à l’islamisme politique alors que d’autres le lient à la manière avec laquelle vivent les musulmans leur religion sur le vieux continent et aux conditions de leur intégration. D’autres préfèrent plutôt le terme de «culture musulmane européenne». Les termes diffèrent mais expriment la diversité de l’islam dans ces pays et sa difficulté à s’imposer en Europe bien qu’il représente la 2e religion après le christianisme dans la plupart des pays européens. «Qu’on le veuille ou non, l’Europe est chrétienne. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’islam a des difficultés à trouver sa place sur ce continent. Ses détracteurs profitent de la méconnaissance des Européens des préceptes de l’islam pour en véhiculer une image négative. Les mass médias européens endossent une grande part de responsabilité. La montée du fondamentalisme dans les pays musulmans ne fait qu’aggraver la situation. Actuellement, l’islam est sorti de sa sphère religieuse pour être instrumentalisé dans le politique. Il est devenu une carte électorale en Europe», explique Mokhtar Chaoui, professeur universitaire, spécialiste des questions théologiques, dans une déclaration au Soir échos. Et de poursuivre : «En Europe, on retrouve une diversité de l’islam. Cette présence est issue des vagues de l’immigration. Actuellement, plusieurs groupuscules et organisations de musulmans pullulent. Chacun tente d’imposer sa vision de l’islam. Chacun en donne sa propre interprétation. Les jeunes issus de l’immigration sont ainsi perdus. La perte de repères identitaires dont ils souffrent s’aggrave ainsi avec le problème théologique. La question qui taraude leur esprit est : « - Quelle est mon identité religieuse ? – Suis-je sunnite, chiite ou wahhabite ?». Confrontés aux difficultés socioéconomiques, ils sont à la quête du chemin à prendre pour déclarer leur présence. Dans la tourmente, certains tombent dans le piège des courants extrémistes». La montée de l’islam fait donc peur aux gouvernements européens. Le vieux continent compte actuellement 11 millions de musulmans, selon le Centre national de la recherche scientifique en France, organisme public de recherche placé sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur. Alors que l’institut musulman de la mosquée de Paris parle de 17 millions dont 6 millions en France, 3 millions en Allemagne et 2,5 millions de musulmans en Angleterre. Ils sont originaires du Maghreb, de la Turquie, de l’Afrique subsaharienne, de l’Inde, du Pakistan… sans oublier les populations musulmanes européennes autochtones, qu’il s’agisse de musulmans étrangers ayant acquis par naturalisation une des nationalités européennes, des jeunes générations de musulmans européens, nés de parents étrangers ou des convertis.

Institutionnalisation
de l’islam en Europe

«La présence des musulmans en Europe est nourrie par plusieurs sources. L’immigration, la conversion, mais également l’éveil de plusieurs sociétés européennes et la redécouverte de leur islamicité, comme l’Andalousie en Espagne, la Turquie, le Kosovo, la Hongrie et la Roumanie. A Londres, on parle même de «London Islam», renchérit un autre spécialiste des questions théologiques. D’où le souci de ces gouvernements de régulariser cette présence islamique qui, selon eux, menace leur sécurité.

Plusieurs pays d’Europe créent donc des institutions et des mécanismes juridiques pour la gestion du culte musulman sur leurs territoires à l’instar de pays comme la France, l’Espagne, la Belgique et l’Italie. Créé en 2003, le Conseil français du culte musulman est devenu l’instance représentative des musulmans de France auprès des autorités politiques nationales. Il s’assigne comme mission de «rassembler les différents courants de pensée des musulmans installés en Hexagone». Un accord cadre a été signé entre le gouvernement français et les principales institutions et fédérations islamiques nationales sur les «principes et fondements juridiques régissant les rapports entre le culte musulman et les pouvoirs publics». «Pour contrecarrer le phénomène du terrorisme islamique, ces gouvernements tentent d’instaurer un modèle européen de l’islam à l’image du catholicisme européen. Un islam laïque», explique Mokhtar Chaoui. Pour Francesco Zannini, de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques, qui a fait un exposé sur la présence des musulmans en Italie lors du colloque «Islam en Europe, Islam d’Europe» tenu la semaine dernière à Casablanca à l’initiative de la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines et la Fondation Konrad Adenauer, le problème en Italie se pose au niveau de la diversité de l’islam. «Les divergences entre les différentes organisations des musulmans pose un gros problème en Italie. C’est pourquoi le Conseil de l’islam, créé par le ministère de l’intérieur, a instauré une charte des valeurs de la citoyenneté et de l’intégration. Avec la diversité de l’islam, les jeunes se sentent perdus», indique-t-il.

L’émergence d’une culture européenne musulmane portée par les jeunes

Le cas des jeunes musulmans à Londres et à Paris interpelle Farida Belkacem de l’Institut de relations internationales et stratégiques à Paris, qui a fait une enquête sur le terrain dans ces deux capitales européennes. Elle est partie à leur rencontre dans les mosquées et les salles de prière en mars-avril 2010. Elle leur a posé une vingtaine de questions sur l’importance de l’islam dans leur quotidien, les raisons et le degré de leur pratique, l’apport des nouvelles technologies et sources de savoir, leur vision des musulmans dans le monde, en Europe et dans leur propre pays, leur sentiment national, ou encore leur rapport aux événements politiques internationaux. «Je me suis intéressée en priorité aux jeunes musulmans qui revendiquent une pratique engagée de l’islam. Les jeunes musulmans engagés contribuent particulièrement à la construction d’un islam européen», note-t-elle lors de ce colloque à Casablanca, qui a réuni pendant deux jours chercheurs universitaires et spécialistes pour débattre de cette question. Les jeunes interrogés appartiennent à la classe populaire et d’autres à la classe moyenne. Ils partagent un bagage culturel assez homogène, puisqu’ils poursuivent des études supérieures. Résultat de l’enquête : «Aujourd’hui, on constate une offre religieuse globalisante, qui circule via des flux matériels et immatériels. Cette offre de produits et d’idées est parfois novatrice, mais elle est plus souvent conservatrice. C’est une offre de «l’islamiquement correct», une offre en anglais, ou en français plus souvent qu’en arabe. Cette offre influence particulièrement les pratiques de la jeunesse musulmane en Europe», souligne la jeune chercheuse. Parmi les flux immatériels, poursuit-elle, la télévision par satellite (chaîne Iqra ou Islam channel), les sites Internet (Islam online ou oumma.com). «L’offre islamique est aussi constituée par des produits la fois identitaires, marchands et prosélytes. Ainsi, le marché halal est de plus en plus lucratif et malgré des habitudes alimentaires très différentes à travers l’Europe, on constate l’émergence de produits de masse certifiés halal. A côté de ces produits, on retrouve des flux d’idées et d’hommes. Ceux que j’appelle les faiseurs d’opinion islamique». Selon les résultats de l’enquête, l’offre islamique est encore dominée par des courants conservateurs, en particulier par les mouvances salafistes et wahhabites. Les salafistes forment une minorité en Europe, mais ils créent et diffusent une idée standard de ce qui est le «bon musulman». Pour approfondir son analyse, Farida Belkacem interroge les jeunes sur leurs motivations à choisir l’islam. Est-ce le contexte dans lequel ils vivent, notamment les conditions socio-économiques marginalisés ?

«Le recours à l’islam serait un antidote contre l’indignité. Mais la plupart des jeunes interrogés était réticents à faire ce lien entre pratique et contexte socioéconomique. Après tout, les motivations derrière chaque regain d’intérêt pour l’islam sont variées», constate-t-elle avant d’ajouter : «L’une d’entre elles est souvent ignorée et a été rappelée par Nathalie Kakpo : la recherche de requalification intellectuelle. Car l’islam est aussi vecteur d’excellence».

Pour conclure, Farida Belkacem insiste sur le fait que «si une culture musulmane européenne émerge, cela ne peut pas être sur la base d’un mode d’être particulier». Elle cite à ce sujet le politologue français spécialiste de l’islam Olivier Roy : «Un islam occidental n’est pas nécessairement un islam libéral, pour les mêmes raisons qu’un christianisme ou un judaïsme occidental ne sont pas nécessairement libéraux, mais un islam qui se considère comme une communauté de foi, basée sur la libre adhésion».

Source : Le Soir

Google+ Google+