lundi 25 novembre 2024 00:06

Rapport sur l'intégration : à vouloir "intégrer", on stigmatise les enfants d'immigrés

Refonder la politique de l'intégration, comme le voudrait un récent rapport, c'est toujours parler d'intégration. Comment penser autrement l'altérité sans utiliser le vocabulaire d'un autre âge ? Sans véhiculer encore des clichés ? Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue, et la co-auteure de cette tribune, Rokhaya Diallo, journaliste, ont des réponses à contre-courant de la pensée traditionnelle.

Le rapport collectif remis à Jean-Marc Ayrault le vendredi 13 décembre propose de refonder une politique d'Intégration. Parmi leurs propositions à contre-courant : une (re)mise à plat de l'histoire de la France, une prise en compte de la dimension "arabo-orientale" (comme afro-antillaise, océanindienne, mélano-polynésienne ou sud-est asiatique) de notre identité, la possibilité d'un enseignement dès le collège d'une langue africaine ou la "suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires concernant notamment les signes religieux".

Au-delà des préconisations, le rapport renverse les prêts-à-penser habituels et suggère de repenser les termes :

Quelle est donc cette population à "intégrer" ? La présence durable et installée, depuis la chute de l'empire colonial, de minorités non-blanches issues des migrations ne peut plus être pensée comme temporaire ou liée à la conjoncture économique dans une France plus pluriculturelle que jamais dans son histoire.

Les enfants des immigrés d'hier que l'on imaginait "de passage" sont aujourd'hui des Français à part entière : persister à considérer qu'il faut les "intégrer" alors même qu'ils sont chez eux, est une violence que le rapport s'attelle à déconstruire. Ainsi dans nos représentations sociales - qui sont résolument ethniques -, certains étrangers n'ont pas l'air d'immigrés et certains Français ont l'air d'étrangers, alors que certains étrangers sont plus étrangers que d'autres.

Relayant la fracture sociale, la question ethnique fait effraction dans nos imaginaires collectifs, telle un "trauma" dans un modèle républicain vécu comme universel et universalisable.

La France n'est pas monolithique

À une époque où la société civile démocratique impose son modèle de coexistence sociale formellement égalitaire, la différence et l'altérité ne sont perçues qu'en termes de dangerosité !

Un renversement de perspective s'impose, consistant non à penser la culture nationale dans ses valeurs et traits culturels dominants pour saisir comment intégrer les cultures minorées mais élucider en quoi ces cultures réinterrogent et nourrissent notre sentiment d'appartenance nationale et la citoyenneté française.

Ce rapport prend acte de la difficulté de la République française, théoriquement monolithique, à admettre les différences. En France, la laïcité a été dévoyée pour devenir un instrument d'agression des minorités, en particulier des musulmans dont on essaie peu à peu d'effacer la visibilité.

Toute une série d'indices atteste du renouveau d'un ordre moral moniste entériné, encore une fois, par la gauche : le projet reporté sine die du vote des étrangers non communautaires aux élections locales,l'abandon du récépissé des contrôles d'identité, la violence d'État à l'encontre des Roms ou la Charte de la laïcité qui a rouvert un débat que la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école, respectée par les jeunes filles voilées qui ôtent leur voile avant d'entrer dans les établissements scolaires aurait pu (dû ?) clore sont autant de signaux montrant un rapport confus aux minorités.

L'École est un lieu politique

Si l'école doit transmettre les valeurs des républiques, des valeurs supposées communes, comment le peut-elle si sa vocation est la neutralisation des différences ? L'École est un lieu éminemment politique, elle a été l'outil privilégié de la fabrique du citoyen français, dans un processus de construction d'une identité "commune" faite de récits collectifs et de symboles partagés mais elle s'est nourrie d'amnésies et d'amnisties.

La laïcité est devenue un prétexte pour oblitérer toute prise en compte explicite des valeurs dans l'École. La question centrale est celle de la représentation que la communauté politique, la France, entend donner d'elle-même et faire partager...

Le clandestin, c'est notre image de l'étranger

Notre modèle citoyen français, scotomisant les appartenances, met à mal la construction des subjectivités, dans une radicalisation de la laïcité que questionne ce mythe contemporain de l'islamisation. Le déni systématique des identités culturelles constitue une sorte de passager clandestin de la laïcité dans notre imaginaire collectif.

Le "roman national", élaborant collectivement un passé mythique et partiellement amnésique, grâce aux discours, aux ouvrages scolaires, aux pratiques et aux institutions, est devenu un des ressorts au nom duquel l'exclusion de "l'étranger sociologique" se légitime.

Il s'agit donc d'interroger nos discours sociaux - ce que notre société véhicule comme violence dans son discours collectif - et leurs effets sur la subjectivité d'une époque, sur le collectif et sur chaque sujet.

Il reste à décrypter les bénéfices symboliques, politiques et identitaires paradoxalement inscrits dans l'ordre des discours et des pratiques d'exclusion, même s'ils sont officiellement connotés comme gages d'une universalité accueillante, bienveillante et "incluante". Ainsi la loi de 2004 ou la décision récurrente entérinant le licenciement d'une employée de la créche Baby Loup sont présentés comme le moyen de protéger les consciences juvéniles.

Au-delà de l'émotion, de quoi cette panique morale est-elle aujourd'hui le nom ?

Ce rapport arrive à point nommé pour rouvrir des questions trop vite refermées. Déjà, l'historien Lucien Febvre, dans un article de 1946, disait de la France "qu'elle se nommait diversité" et nous savons avecRené Girard, que "là où la différence fait défaut, c'est la violence qui menace".

23-12-2013, Béatrice Mabilon-Bonfils

Source : nouvelobs.com

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