dimanche 24 novembre 2024 22:00

RTBF. Spéciale 50 ans d'immigration turque et marocaine en Belgique

Bertrand Henne reçoit Fatima Zibouh, chercheuse en sciences politiques et sociales au CEDEM (Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations) et le comédien Ben Hamidou.

PYM : - On va se pencher sur les 50 ans de l’immigration marocaine et turque en Belgique. Bertrand Henne face à vous deux invités. Fatima Zibouh premièrement. Vous êtes chercheuse en sciences politiques et sociales au Cedem, c’est le Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations. Et puis à vos côtés il y a aussi le comédien Ben Hamidou.

BH : - Il y a 50 ans la Belgique signait donc avec le Maroc une convention bilatérale – vous connaissez l’histoire – afin de fournir de la main-d’œuvre à l’industrie lourde et du charbonnage. Evidemment de nombreux marocains saisissent leur chance et débarquent en Belgique. Ils s’y installent et comme on dit, on voulait des bras on a eu des hommes. C’est une phrase assez connue. Et des femmes aussi, on va parler de cette question aujourd’hui. On va s’arrêter plus particulièrement sur le rôle et la place qu’elles occupent dans cette histoire. Mais d’abord les commémorations, cette date, 50 ans tout juste aujourd’hui. Qu’est-ce que ça évoque pour vous Ben Hamidou ?

B. Hamidou : - Ca évoque surtout à la fois de la nostalgie et pour moi entre guillemets, sans en faire trop, un devoir de mémoire parce que c’est un peu cette première génération qui est arrivée en Belgique et on peut le dire, qui a aidé à la construction de la Belgique. Ils étaient là. Vous l’avez rappelé, ils ont été appelés. C’est une immigration qui a été voulue et puis pour qu’ils travaillent mieux, on a même demandé qu’ils amènent leur femme et leurs enfants. Donc c’est avant tout un hommage qu’on voudrait rendre à cette première génération, qu’on n’a pas beaucoup vue, qu’on n’a pas beaucoup entendue et qui n’a jamais…

BH : - Qui n’a pas été suffisamment mise en valeur peut-être aussi ?

B. Hamidou : - Oui, du tout, du tout. Parce qu’ils n’avaient pas les moyens à l’époque et puis on le sait, tout passe par le suffrage universel aussi. Donc ils étaient là mais c’était à la fois des sans-voix. Et donc 50 ans après, c’est bien de rappeler. Moi je dis toujours, je remercie toujours le bon dieu que mes parents aient pu traverser la mer et d’être là dans ce plat pays qui est devenu le mien.

BH : - Fatima Zibouh même question, le rapport que vous avez avec cette date charnière. Qu’est-ce que ça prend comme place dans votre histoire personnelle, cet accord signé il y a maintenant 50 ans tout juste ? C’était le 17 février pile jour pour jour.

FZ : - Exactement. D’un point de vue personnel, cette date marque avant tout l’arrivée d’un oncle, mon oncle en 64, l’hiver 64. Dans la solitude et dans un nouvel univers et ensuite l’arrivée de mon grand-père et de toute une famille qui est venue s’installer ici. Aujourd’hui, mon oncle et mon grand-père ne sont plus de ce monde et ils ont contribué à la construction de ce pays et c’est vrai que quelque part, c’est une façon de leur rendre hommage. Mais cette date aussi marque l’officialisation d’une arrivée d’une population dans des conditions qui sont difficiles et cela doit avant tout nous permettre de poser une réflexion globale sur un état des lieux de ces 50 ans de présence sur la question de l’altérité, sur la discrimination à l’embauche et sur les conditions socio-économiques assez difficiles où se trouvent ces populations qui sont particulièrement touchées par cette crise.

BH : - Ben Hamidou, vous nous le disiez, c’est aussi une fierté pour vous, ou un hommage, un devoir de mémoire. C’est aussi l’occasion de rappeler peut-être l’aspect plus négatif, les discriminations qui restent. C’est aussi une histoire d’émancipation ces 50 ans d’histoire de l’immigration marocaine et turque, on va commémorer ça un petit peu plus tard, mais c’est aussi une histoire de combat.

B. Hamidou : - Certes oui. Combat aussi, Fatima l’a souligné, par les femmes. Parce qu’elles sont souvent oubliées. À la fois dans les migrations ou dans les révolutions arabes par exemple. On les voit au-devant et dès que les mecs arrivent au pouvoir elles retournent à la cuisine. Chez nous, nos mères ont toujours été là. Elles étaient à la fois à la maison, elles étaient au niveau de l’éducation et elles étaient là après. Les parents, le père lui il rapportait. C’était le mâle qui allait travailler et qui allait ramener des choses. Bien sûr, vous parlez des discriminations, certes, mais moi je vais mettre ça dans quelque chose de plus global. Je vais rester très très positif parce que quand je vois ce qui a été accompli, certes il reste encore pas mal de choses à faire, mais moi je pense contrairement à certains politiques que l’intégration n’est pas un échec.

BH : - Je vais simplement le signaler, dans le cadre de " C’est du belge ", vous jouez " La civilisation ma mère ! ", pour revenir au rôle des femmes, de Driss Chraïbi, ce sera le 21 février au Centre culturel d’Anderlecht. Il y a encore d’autres choses dans, je pense qu’on peut appeler ça le festival autour des 50 ans de l’immigration, il y a plusieurs choses.

B. Hamidou : - Voilà, du 27 au 1er mars, à l’Espace Delvaux, à la Vénerie, également un spectacle qui s’intitule " Sainte-Fatima de Molem " où je retrace un peu l’histoire à la fois de l’immigration, de ma grand-mère centenaire qui a vécu jusqu’à 106 ans et puis voilà.

BH : - C’est encore une fois, le rôle des femmes, c’est quelque chose qui vous tient vraiment à cœur.

B. Hamidou : - Elles sont là !

BH : - Fatima Zibouh, sur le rôle des femmes dans cette immigration, parce qu’on a une image qui est un peu une image d’Epinal. D’ailleurs vous l’avez rappelé pour votre oncle, c’est l’homme qui vient travailler. Et puis seulement derrière, dans un second temps, la famille et puis les femmes qui viennent après. Comment est-ce que vous vivez ça ? Le rôle des femmes en 50 ans, comment est-ce qu’il a évolué dans cette communauté ?

FZ : - Effectivement c’est vrai qu’on parle souvent des hommes et les femmes sont venues par après notamment dans le cadre du regroupement familial. Mais il y a aussi des femmes qui sont venues seules pour diverses raisons. Et c’est vrai qu’on doit véritablement les mettre à l’honneur parce que cette dimension " genre " de l’immigration est parfois occultée lorsqu’on aborde cette thématique-là. On met souvent en évidence certains cadres, certains exemples de réussite en tant que femme mais on ne parle pas souvent de ces femmes de l’ombre, de ces mères, de ces grands-mères qui ont porté cette immigration et qui ont dû aussi subir parfois le mépris du fait qu’elles ne parlaient pas assez bien la langue, que ça soit dans l’administration ou à l’école, qui devaient s’adapter par rapport à une réalité. Que ce soit au niveau de leur intérieur ou au niveau de l’extérieur. Et aujourd’hui, on voit bien qu’il y a parfois, sans tomber dans le misérabilisme par rapport à ces femmes, mais on est passé peut-être à côté de quelque chose. Et donc c’est pour ça que ces 50 ans permettent aussi à des initiatives de les mettre à l’honneur. Je pense à une initiative qui va se dérouler à l’Espace Magh au mois de mai, mi-mai, un collectif qui s’appelle " Il était une fois ma mère " et qui veut mettre à l’honneur ces femmes notamment par rapport à leur intérieur, par rapport à l’évolution de ce prêt-à-porter qui a aussi beaucoup changé, leur intérieur également. Toute cette adaptation culturelle de ces femmes. Ces femmes qu’on voit parfois dans certains quartiers de Bruxelles, qui sont complètement " invisibilisées ", aujourd’hui prenons le temps de savoir qui elles sont, qu’est-ce qu’elles vivent. Arrêtons-nous aussi sur le sentiment de solitude, la souffrance qu’elles ont pu vivre et aussi leur dire bravo pour ce qu’elles ont fait parce que ce n’est quand même pas évident.

BH : - Ben Hamidou, dans votre spectacle " La civilisation ma mère ! ", c’est l’histoire d’une femme au Maroc qui a beaucoup d’enfants, je pense 13 si ma mémoire est bonne… J’ai peut-être oublié quelque chose…

B. Hamidou : - Non non, qui a deux enfants. Elle aurait pu mais là il n’y en a que deux. Et qui devra son émancipation aux choses extraordinaires, à ces deux garçons parce que généralement les garçons s’identifient au père et là ce sera grâce à ses deux enfants qu’elle va vraiment s’émanciper alors qu’elle est mariée avec un homme qui aime la philosophie, les penseurs grecs et qui aime beaucoup les voyages. Et donc on a essayé de faire le lien avec mon collègue Gennaro Pitisci entre à la fois le rôle de la femme là-bas au Maroc et ce qu’il se passe ici. J’ai appris par exemple qu’en Belgique, la femme n’a pu ouvrir un compte en banque sans l’accord de son mari que vers 1973, ce n’est pas très très loin l’émancipation. Donc c’est encore un combat de tous les jours.

BH : - Deux minutes pour discuter avec vous d’un thème important. C’est celui de la culture dans cette communauté marocaine de Belgique ou belgo-marocaine, on peut l’appeler un petit peu comme on veut. Mais c’est vraiment un facteur important ça ? La culture, la reconnaissance de soi, de ce qu’on est, de son histoire et puis la connaissance et la reconnaissance des autres aussi, Fatima Zibouh ?

FZ : - Oui tout à fait. D’ailleurs de ce point de vue, c’est intéressant de s’arrêter, on s’arrête beaucoup sur les 50 ans d’immigration marocaine mais c’est aussi 74 l’arrêt officiel de l’immigration mais la reconnaissance de l’islam…

BH : - Comme religion.

FZ : - Par la Belgique. Ce qui est un fait complètement inédit. La Belgique est l’un des premiers pays européens à reconnaître l’islam donc c’est quelque part une façon de reconnaître l’identité culturelle de ces immigrés par cette reconnaissance. Et donc on sait très bien que parfois cette religion est une partie constitutive de certaines personnes d’origine marocaine donc là il y a aussi quelque chose. Et puis au-delà de ça, on voit aujourd’hui à travers toute cette effervescence artistique, Ben Hamidou en est un exemple mais également plein d’autres. D’ailleurs le titre de bruxellois de l’année a été rendu pour un jeune humoriste bruxellois d’origine marocaine Abdel Stand Up qui fait la culture bruxelloise et qui font la culture belge. Et à ce niveau-là effectivement, il y a quelque chose d’assez fort qui se passe. " La vie c’est comme un arbre ", l’année dernière, prix du bruxellois de l’année et ils occupent une très grande place dans l’agenda culturel de notre pays.

BH : - Ben Hamidou, pour conclure ?

B. Hamidou : - Oui tout à fait. C’est vrai que lorsqu’on me demande " Tu es d’où ? ", je dis " Toujours très difficile de choisir entre son père et sa mère " donc je suis à la fois tiraillé par les deux. Mais cette belgitude on l’assume très bien et on s’y sent surtout très bien.

BH : - Fatima Zibouh, pour conclure alors puisque vous avez encore 15 secondes.

FZ : - J’aimerais conclure sur la réalité des personnes du troisième âge dont on parle très peu à l’occasion de ces 50 ans et la question de la gestion des personnes âgées.

BH : - La première génération vous voulez dire ?

FZ : - La première génération qui vieillit aujourd’hui, qui part là-bas et la question de l’enterrement et de la fin. Où on va finalement après ? Donc la question des perspectives doit être aussi questionnée aujourd’hui.

16 février 2014

Source :rtbf

 

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