L’ultime rencontre organisée par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger au salon du livre à Casablanca, lors de cette édition de l’année 2018 a traité de la thématique de l’apport mutuel et des diverses lectures de la Migration marocaine en Europe. Vincent Geisser (France), Khalid Hajji (Belgique), Mustapha El Mourabit (Maroc).
M. Vincent Geisser*
Le sociologue estime que cette marocanité est diverse selon les individu et la décrit comme « une marocanité à la carte », à savoir choisie : « Une carte dans laquelle on va piocher des éléments de cette marocanité qui peuvent être très différents. Elle n’est ni homogène, ni uniforme, mais composite » a-t-il estimé, ajoutant que nous sommes « passés d’une marocanité subie à une marocanité choisie ». Après avoir évoqué cette marocanité en trois temps : « l’hérésie de la bi-nationalité, puis celle de la désillusion (années 80-90), il a évoqué ce qu’il a appelé la « marocanité retrouvée », citant l’exemple de ces générations qui se sentent « Français et marocain », « le retour du drapeau marocain dans la chambre des jeunes », « l’identification à l’équipe nationale ». M.Geisser rejette, par ailleurs, en bloc l’idée selon laquelle ce retour aux sources A contrario les discours qui estiment que ce retour aux racines, résulte de l’échec des marocains dans les pays hôtes. Il cite l’exemple de l’élite d’origine marocaine « ceux qui réussissent ont aussi cette volonté de servir leur pays d’origine ».
M.Khalid Hajji*,
M.Hajji a aussi rappelé que l’immigration fut d’abord « une force de travail » et non pas une « force intellectuelle ». Citant Edward Said et ses mémoires (ndlr A contre voie, ed Le serpent à plumes) il s’arrête avec justesse sur l’un des épisodes les plus intéressants de l’ouvrage exceptionnel d’Edward Said qui était chrétien et palestinien et qui s’interrogeait sur la dualité de son nom et son prénom : Edward et Said. M.Hjji a cité de nombreux ouvrages allant de Brave New World (Le meilleur des mondes de Aldous Huxley) à George Orwell en passant par Sefrioui ou encore Yasmina Khadra afin d’expliquer cette « extention de l’être ».
Mustapha el Mourabit*
Chaque « Soi » a son « Autre » qui se conçoit à travers l’autre.
Autrement dit la découverte de « Soi » se fait à travers l' »Autre » et de ce fait sa reconstruction se fait selon l' »Autre », et inversement. La différence dans l’entreprise de sa conception, sa découverte et sa reconstruction entre le « Soi » (arabo-musulman) et le « Soi » (européen) est que la première est « positive » dans le sens où sa découverte et sa reconstruction se fait à travers « ce qu’il n’a pas », donc, par une procédure de comparaison mécanique, il détecte « ce qu’il n’a pas » et que l’Autre » « a » comme un manque, un moins. Plus clairement, l’on peut parler de « signe d’infériorité ». Cette entreprise procède dans le sens d’acquérir « ce qu’il n’a pas ».
Alors que l’entreprise du « Soi » (européen), bien qu’il se compare à l’Autre » (arabo-musulman) à travers « ce qu’il n’a pas », n’est pas dans le souci de l’éviter, et dans le pire des cas, de l’éliminer, puisque « ce qu’il n’a pas » et que l' »Autre » « a » est source perçu sous le prisme d’une certaine forme de « décadence ». Tandis que « L ‘autre est dans la culture de l’évitement et ici dans la culture du complexe d’infériorité ».
M.Vincent Geisser
Sociologue et politologue. Chercheur à l’Institut français du Proche Orient (IFPO) de Beyrouth. Il préside aussi depuis 2005 le Centre d’information et d’étude sur les migrations internationales (CIEMI) de Paris. Il est directeur de publication de la revue Migrations Société et membre du Comité de rédaction de L’Année du Maghreb. Parmi ses nombreux ouvrages La Nouvelle Islamophobie, éditions La Découverte, 2003 ; Marianne et Allah ; Les politiques françaises face à la « question musulmane », avec Aziz Zemouri, éditions La Découverte, 2008. Le syndrome autoritaire ; Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, avec Michel Camai, Presses de Sciences Po, 2003 ; Renaissances arabes : Sept questions sur des révolutions en marche, avec Michaël Béchir-Ayari, éditions de l’Atelier, 2011 et Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes ; avec Moncef Marzouki, éditions de l’Atelier, 2009 et réédition en 2012).
M.Khalid Hajji
Doctorat de Paris-Sorbonne, professeur-chercheur au département d’études anglo-américaines et membre-fondateur du Groupe de recherche Science et Culture à l’Université Mohammed 1er, Oujda. Il est membre-fondateur du Cercle de Sagesse pour Penseurs et Chercheurs, et du Centre Maghareb (Rabat). Il est Secrétaire général du Conseil européen des ouléma marocains (CEOM) à Bruxelles. Parmi ses publications Lawrence d’Arabie ou l’Arabie de Lawrence, L’Harmattan ; De la modernité et de la créativité arabo¬ musulmane, Centre Culturel Arabe et Abderrahmane et la mer, un roman édité au Centre Culturel Arabe.
M.Mustapha El Mourabit
Enseignant chercheur. Mustapha El Mourabit a enseigné à la Faculté de Médecine de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg et à l’Université Mohamed Premier d’Oujda au Maroc. Ex-directeur de Aljazeera center for studies à Doha au Qatar. Il a dirigé et animé l’émission Oumsya maghribiya, diffusée sur « Aljazeera mubasher ». Il est membre fondateur du Cercle de sagesse pour les penseurs et les chercheurs à Rabat, il est aussi membre de plusieurs comités consultatifs d’études et de recherches ou de revues, aussi bien à l’étranger qu’au Maroc. Il est actuellement chargé de mission au sein du CCME. Il est président du Centre Maghreb des Etudes.