Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) a organisé, mercredi 23 avril 2025 au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat, en partenariat avec le Center for Global Studies de l’Université internationale de Rabat (UIR), un séminaire intitulé « les sciences sociales pour tous : médiations et vulgarisation ». Sont intervenus à cette rencontre Mustapha Belabdi, Professeur de communication à l’Université du Québec à Montréal, Sébastien Gökalp, Directeur du Musée de Grenoble et ancien directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration de Paris, Michel Boyer, Professeur de géopolitique à l’UIR, David Lessault, géographe, chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), affecté au laboratoire ESO à Angers, Samia Chabani, journaliste et coordinatrice générale de l’association « Ancrages » à Marseille et Mohamed Charef, Professeur de géographie à l’Université Ibn Zohr d’Agadir et Directeur de l’Observatoire Régional des Migrations : Espaces et Sociétés (ORMES).
Au-delà des élites culturelles, la vulgarisation cherche à toucher un public large, y compris les citoyens ordinaires, afin de leur fournir des clés pour comprendre les logiques sociales et politiques. Elle constitue un enjeu social, politique et démocratique important, car elle permet de diffuser des savoirs sur le fonctionnement des sociétés, contribuant ainsi à l’émancipation et à la compréhension collective.
En tant que responsable d’un musée national, Sébastien Gökalp a exposé les étapes de passer de l’idée d’une exposition à sa réalisation et explique que dans le cas des musées en particulier « on parle plus de médiation que de vulgarisation ».
Il explique que quand on présente une exposition, on s’adresse à des spécialistes de l’histoire de l’immigration mais aussi à des gens qui n’y connaissent rien, des gens qui sont contre ou pour, des enfants, etc. « On leur expose des objets à sentir et à percevoir qu’on fait parler à travers des textes de salles ou un médiateur qui facilite l’objet de l’œuvre ». Il y a, par ailleurs, « un système de hiérarchisation de textes, des applications ou des guides qui font que chaque public va trouver la médiation qui le concerne ».
En 2001, Lionel Jospin avait confié à Driss El Yazami, délégué général de l’association « Génériques » et Rémi Schwartz, maître de requêtes au Conseil d’état, la mission d’ « examiner quelle forme pourrait revêtir un tel lieu ». En octobre 2007, leurs recommandations se concrétisent avec l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration au Palais de la Porte Dorée, devenue en 2012 Musée national de l’histoire de l’immigration.
Dans son intervention, Samia Chabani a mis l’accent sur l’importance de la médiation dans les musées et galeries d’art, une nouvelle profession émergente pour l’accueil et l’orientation des visiteurs, en passant en revue les différentes réalisations de l’association « Ancrages », qui travaille sur la question de l’accueil et de la réintroduction des récits sur la migration dans une ville multinationale comme Marseille. « A travers la médiation, nous interrogeons aussi les professionnels du patrimoine sur comment et par qui ce patrimoine est créé », explique-t-elle.
Concernant la méthodologie de l’association, Samia Chabani souligne qu’elle repose sur l’interaction avec le public qui visite les expositions, les interpellant sur des objets qui font partie de la mémoire des migrations, et sur une programmation culturelle qui met en lumière les contributions des migrants dans la société. « Pour ce faire, on met toujours en exergue les droits culturels, le pluralisme et la présence des migrations dans la vie quotidienne ».
De son côté, David Lessault a choisi la bande dessinée en tant qu’outil de vulgarisation de ses travaux scientifiques. Une démarche personnelle du chercheur qui démarre « d’une certaine frustration, d’une part à être souvent obligé et convenu de travailler, d’exprimer et d’exposer des résultats d’une certaine manière et d’autre part de faire face à un récit politique et publique en France qui se construit sur la peur de l’étranger et qui conduit à des politiques migratoires assez restrictives ».
« Nous en tant que communauté scientifique spécialiste de l’immigration internationale arrivons à construire un discours qui est complètement différent de celui-ci, et la vulgarisation a pour objectif de faire entendre cette réalité », explique-t-il.
Pour lui, sortir du confort du chercheur et explorer des outils de contact avec le public était un acte de résistance. « Dans le cadre des enquêtes de terrain, voir des parcours réduits en chiffres statistiques déshumanisés me frustrait ».
Le dessin, associé à l’humour, « n’est pas uniquement un travail de vulgarisation, c’est la création d’un objet qui va permettre de faire dialoguer les gens, qui s’adresse à tous les publics et invite à parler autrement du débat passionné de l’immigration ».
Michel Boyer a, quant à lui, abordé le concept de médiation à partir des travaux qu’il a menés au cours de sa carrière, à la fois comme professeur et comme directeur du département de la communication et des archives au ministère de la Défense, sur l’histoire de la migration forcée des soldats marocains qui ont combattu aux côtés de l’armée française pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.
Le professeur d’en géopolitique a indiqué que ce sujet est resté invisible dans l’histoire nationale française, et que les signes d’intérêt à son égard ont commencé à travers des romans et quelques œuvres cinématographiques, comme « Les hommes d’argile », qui ont suscité le désir de connaître cette partie de l’histoire à travers les archives.
Cet intérêt a permis de découvrir d’autres aspects de cette période, comme la migration des travailleurs dans le contexte de la guerre qui sont venus en France et se sont retrouvés dans une situation militaire qui les a empêchés de bénéficier de nombreux droits du travail, ainsi que de leur intégration dans la société française.
M. Boyer a, par ailleurs, souligné l’importance de partager ces expériences avec les nouvelles générations, ce à quoi il contribue en travaillant avec ses étudiants, en explorant des horizons plus larges pour la préservation de la mémoire et la compréhension de l’autre, et en donnant aux jeunes une vision différente de la migration.
Pour sa part, Mustapha Belabdi expert en communication et conduite du changement, a souligné « l’importance de tenir compte du destinataire ou de ce que l’on appelle le groupe cible dans le choix du discours approprié afin de partager les connaissances ».
La réflexion par rapport aux caractéristiques du destinataire est constamment présente dans le processus de communication lorsque l’on parle de vulgarisation, et en particulier lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact de cette communication.
Pour son cas, réussir ses projets de médiation dans les domaines de la communication et de la culture au profit de plusieurs organisations et entreprises requiert une ouverture sur l’autre et la multiplicité des sources d’inspiration, un des atouts majeurs de sa double culture marocaine et canadienne. Ces projets lui permettent, à leur tour, de redécouvrir l’interaction et les réactions du destinataire par rapport aux différents messages communiqués.
Si la vulgarisation dans le microcosme universitaire peut être considérée de manière péjorative, Mohamed Charef la considère plutôt comme « un acte de partage de quelque choses qu’on aime, sa passion et d’élargissement de nos cercles ».
Quand on avait organisé un grand colloque en 1997 sur le sujet, la question qui se répétait était de comment faire connaître la migration. « Les études et articles qu’on publiait restait dans l’arène de l’université alors que la migration au Maroc est un fait social ancien, et est d’ailleurs à l’origine de sa pluralité ethnique ».
Pour se rapprocher du citoyen qui n’était pas connaisseur de la question, « on a organisé une exposition photos sur les vieux retraités, ces oubliés de l’immigration internationale ». On a ensuite lancé l’idée de films sur l’immigration, avec le Centre cinématographique marocain (CCM), « parce qu’à partir d’un film on peut toucher toutes les classes sociales et lancer un débat ». D’autres actions ont ensuite suivi, notamment « l’implication des caricaturistes en interaction avec les écoliers dans le cadre d’ateliers de dessins ».
Lire également: CCME-Diptyk : un numéro spécial dédié aux plasticiens marocains du monde