Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) a organisé, mercredi 23 avril 2025 au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat, une conférence sur le thème « éducation, enseignement, recherche et mobilité des compétences ». Jamal Bouoiyour, professeur à l’Université à Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), Mohammed Benlahssen, professeur de physique quantique et ancien Président de l’Université de Picardie Jules Verne, Rachid Guerjouma, professeur d’acoustique et ancien Président de l’Université du Mans et Abdelmounim Belalia, professeur de stratégie, Directeur Général de l’Université Mundiapolis, et Noureddine Mouaddib, fondateur de l’Université internationale de Rabat (UIR), ont participé à ce débat, animé par Mohamed Metalsi, écrivain et urbaniste, expert auprès de l’UNESCO sur le patrimoine.
Les enjeux des migrations et mobilités sont multiples, ils concernent le développement humain, social et économique des pays d’origine, de transit et de destination, ainsi que des questions éthiques, juridiques et politiques. Ces enjeux sont, au vu du développement de la technologie et des systèmes d’enseignement, au cœur des recherches interdisciplinaires et des politiques publiques marocaines.
Dans son intervention, Jamal Bouoiyour, économiste et spécialiste des migrations a présenté des conclusions de son travail sur la contribution économique de la diaspora, soulignant l’importance de l’implication des compétences de la diaspora pour surmonter la stagnation de certains indicateurs économiques, se demandant comment tirer profit de ces compétences.
Dans ce contexte, M. Bouoiyour a souligné la nécessité d’identifier les besoins du Maroc et de mesurer la capacité de l’économie marocaine à absorber ces compétences commençant par fournir des données statistiques précises sur les migrants marocains.
Il a également soulevé la nécessité de prendre en compte les spécificités de chaque catégorie de la communauté marocaine et l’évolution des mentalités à travers les générations, appelant à des propositions pratiques pour convaincre les talents marocains de venir participer à des projets dans leur pays d’origine, et soulignant l’importance de l’attachement culturel, sur lequel le CCME travaille depuis sa création, car c’est seul facteur solide et indéfectible qui lie cette communauté à ses racines.
« Pourquoi sommes-nous partis ? », s’est demandé Mohammed Benlahssen pour orienter son intervention à ce panel. « On était dans un écosystème où le mot progrès était dominant » et, comme dans « L’allégorie de la caverne de Platon, il y avait certaines représentations que nous nous faisions de ce que c’est que la France que nous voulions saisir ».
Contrairement aux jeunes générations qui émigrent aujourd’hui, « la majorité écrasante n’avait pas envisagé de rester en France, on voulait tous revenir ». Aujourd’hui, ayant plus vécu en France qu’au Maroc, le chercheur à l’Université d’Amiens entend bien contribuer au développement de son pays d’origine mais avec des désirs particuliers, « être une valeur ajoutée et être utile ».
Pour être une plus-value, il faut d’abord trouver le moyen de « faire un commun ensemble avec les compétences d’ici » puis, dans la pratique « répéter les niches économiques sur lesquelles il va y a un avoir un apport différentiel afin d’être utile ».
Pour lui, profiter de l’expertise cumulée depuis quatre générations en France ou dans d’autres pays développés, serait sans doute très bénéfique pour le Maroc et pour ces pays, « dans le cadre d’un partenariat win-win ». Ayant travaillé pour Valérie Pécresse à l’époque où elle était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mohammed Benlahssen relève des chiffres parlants : « La France forme chaque année 6000 ingénieurs et 6000 directeurs. 50% de ces derniers étaient d’origine étrangère et 70% d’entre eux étaient Marocains ».
Concernant la question de l’attraction des talents marocains à l’étranger dans divers domaines, Rachid Guerjouma, propose des structures appropriées pour encourager leur mobilité entre le pays de résidence et le pays d’origine.
Offrir de « meilleures conditions ne se limite pas aux rémunérations, mais à un milieu de travail qui encourage la recherche scientifique ». Pour cela « il faut naturellement augmenter le budget de la recherche scientifique à l’instar de certains pays asiatiques et rendre la gestion des universités publiques plus transparente ».
Il faudra également « évaluer la performance de l’enseignement universitaire et s’orienter vers des domaines de recherche actuels tels que l’environnement, les énergies renouvelables et l’intelligence artificielle », notant le rôle que joue le CCME dans cette transformation de la relation des chercheurs marocains en migration avec leur pays d’origine.
Pour sa part, Noureddine Mouaddib, fondateur et Président de l’Université Internationale de Rabat, estime que retenir les compétences au Maroc ne peut être possible puisqu’ « aujourd’hui on est dans un marché mondial des compétences et le Maroc n’est pas une exception car c’est une question d’offre et de la demande ».
Après une carrière de professeur des universités en France, il choisit d’investir l’enseignement supérieur au Maroc à partir d’une idée simple. « On a pas mal de jeunes marocains qui veulent venir étudier en France mais qui ne peuvent pas faute de moyens. J’ai donc pensé offrir à cette jeunesse la même formation qu’en France, avec la contribution d’universités partenaires ».
Après 15 d’existence de l’UIR, il relate trois clés de succès à son projet. « Premièrement, un consortium de partenaires qui acceptent de délivrer leur diplôme ici. Deuxièmement, la mobilisation de la diaspora, car aujourd’hui 150 Marocains de la diaspora travaillent à l’université et ont entrepris un projet de retour définitif. Troisièmement, un appui institutionnel solide soutenu par feu Abdelaziz Meziane Belfkih, Conseiller de Sa Majesté et aussi par Driss El Yazami qui nous avait accueilli à l’époque et encouragé à nous battre ». Ce concours de facteurs a finalement donné naissance à la première université dans le cadre du partenariat public-privé au Maroc.
Aujourd’hui, « on est la première université en Afrique en dépôt de brevets, nous avons aussi remporté en suisse des médailles D’or dans l’innovation grâce à ces compétences qu’on a convaincu de venir et à d’autres compétences aussi qui sont venues d’Asie, d’Amérique… ».
Selon lui, la qualité de l’enseignement supérieur de nos jours est altérée à cause d’un phénomène essentiel et qui touche la plupart des pays, celui du « manque de moyens au vu de la massification estudiantine, puisqu’on est passé de 330.000 en 2010 à 1,3 millions aujourd’hui ».
De son côté, Abdelmounim Belalia a appelé à reconsidérer la question de la migration qui est encore appréhendée de manière rigide, car « « le Marocain en tant que citoyen du monde peut s’installer partout où les conditions sont favorables et peut contribuer au développement de son pays à partir de n’importe quel endroit ». « Même le retour au Maroc peut prendre plusieurs formes telles que le retour temporaire, la contribution à un projet, avec la seule condition d’être flexible », a-t-il poursuivi.
Afin d’encourager les talents Marocains du monde à contribuer au développement national, le Président de l’Université de Mundiapolis, il est nécessaire de créer un climat de confiance et de promouvoir la modernisation des institutions pour que le chercheur trouve un cadre de travail adéquat, ajoutant que « la reconnaissance, la considération, et la liberté de faire des choix sont au cœur de l’aspect psychologique que nous devons également appréhender ».
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