« Action politique, diversité et question sociale » est le thème de la conférence organisée, ce samedi 26 avril 2025, par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) au Salon international de l’édition et du livre (SIEL). Ahmed Aboutaleb, ancien maire de Rotterdam aux Pays-Bas, Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen en France et Ahmed Laaouej, Président du Conseil communal de Koekelberg, Député régional et Chef de groupe au Parlement bruxellois en Belgique ont participé à cette table-ronde modérée par Mohamed Tozy, professeur des universités et directeur délégué à la recherche à Sciences po Aix-en-Provence en France.
Comment gérer l’identité dans une carrière politique ? Quelle relation y a-t-il entre une carrière politique et le récit narratif du pays d’accueil ? Lors de cette rencontre, les invités ont répondu à ces questions et bien d’autres pour mettre en avant leurs parcours politiques singuliers et distinctifs.
La participation d’Ahmed Laaouej a dressé une vue d’ensemble du paysage politique belge depuis les premières vagues d’immigration marocaine arrivées en Belgique sur fond de discordes sociales.
« Il y a en Belgique deux communautés linguistiques, les Flamands d’une culture néerlandophone et les Wallons qui sont francophones. Le pays s’est donc construit sur l’agrégat de deux ensembles de populations qui avait ces particularités », explique Ahmed Laaouej ajoutant que la région bruxelloise fait la jonction entre ces deux communautés, en plus d’accueillir 186 nationalités, ce qui en fait la région la plus cosmopolite du monde après Dubai.
La Belgique accueille l’immigration intra-européenne et aussi nord-africaine, notamment marocaine, qui avait aidé le pays à réussir le pari de l’industrialisation et à s’inscrire dans la nécessité de soutenir une croissance économique forte. L’immigration marocaine arrive donc dans un contexte où les tensions étaient déjà trop fortes entre néerlandophones et francophones.
Il explique par ailleurs que le modèle belge n’est pas le modèle français où la République est un référent puissant. Ce n’est pas non plus le modèle inter-communautaires tel qu’on peut le vivre dans les pays anglophones. Ça se situe entre les deux. C’est un pays où on les cultes sont reconnues et subsidiés en même temps. Le rapport avec la neutralité s’entend alors différemment des autres modèles.
C’est dans ce schéma que les Belgo-marocains ont pu tracer leurs chemins en tant qu’acteur politique, culturel ou associatif pour faire en sorte que le modèle d’inclusion sociale en Belgique réussisse. Et c’est dans ce cadre que les différentes composantes de la société belge, en l’occurrence les immigrés, luttent pour faire partie de ce corps social dans les meilleures conditions.
Selon lui, le défi contemporain aujourd’hui reste la montée des populismes et des partis d’extrême-droite ouvertement racistes. « La Belgique n’échappe malheureusement pas à ce phénomène de mise sous tension permanente de la société, de la volonté de dresser les gens les uns contres les autres à des fins électoralistes », a-t-il affirmé.
Pour sa part, Ahmed Aboutaleb a relaté son propre parcours migratoire avant d’en arriver aux réalisations professionnelles et politiques.
Pour lui, chaque citoyen doit avoir une appartenance politique où qu’il soit dans le monde. Il a choisi le parti travailliste pour simplement « exercer sa citoyenneté » puis a été propulsé dans la responsabilité politique quand « il a senti qu’on avait besoin de lui ».
Il explique par ailleurs que la responsabilité qu’il a endossé en tant que maire ou en tant qu’élu politique ne peut être gérée uniquement par les lois. Elle repose aussi sur la force de personnalité, la conscience professionnelle et l’ancrage de l’identité.
Aux Pays-Bas, dit-il, le racisme auquel on peut faire face en tant qu’immigré est souvent « caché », même si la question de ses origines marocaines a été directement pointée quand il voulait se présenter à la présidence de la mairie d’Amsterdam. Il appréhende le racisme d’un angle différent, c’est une affaire « qui ne questionne pas l’intégration de l’immigré mais son acceptation par la société d’accueil ».
Malgré toutes ces difficultés, Ahmed Aboutaleb a à son actifs des succès politiques de grande envergure. Il a été élu « meilleur maire du monde » par l’organisation britannique City Mayors Foundation et reconnu trois fois de suite meilleur maire des Pays-Bas. Il compare son parcours politique à une conduite de voiture dans un climat perturbé, « j’ai baissé la vitesse, gardé une distance de sécurité, j’ai bien allumé les phares et j’ai laissé le brouillard passer avec un seul et unique mot d’ordre, mettre le citoyen au centre de mes préoccupations ».
Dans son intervention, Karim Bouamrane a mis en avant l’importance de la double culture dans les parcours politiques des binationaux. « Si je n’avais pas été 100% Marocain et 100% Français, je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait ». Pour lui, le Maroc a joué un rôle déterminant dans son parcours intellectuel, politique, spirituel et philosophique.
Il a par ailleurs expliqué les spécificités du modèle français. Le système français n’est pas un système insertionniste. C’est un sytème assimilisationiste, au sens où « tu y rentre mais tu seras toujours appréhendé comme un étranger quelque soit ton background ». Il y aussi le système integrationiste, c’est le système républicain, qui considère que quelque soit ton profil, le nombre d’années passées en France ou ta croyance, tu es Français.
C’est là que démarre l’embarras, selon lui, car « nous, on n’est pas 50-50 mais 100% des deux backgrounds ». En revanche, il y a toute une génération, qui avait évolué dans la logique de retour mais qui est restée, qui n’a pas pu bénéficier du système intégrationniste que ce soit sur la démocratisation de l’excellence éducative, ce qu’on appelle le plafond de verre ou sur la capacité de pouvoir, à compétences égales, appréhender les mêmes carrières ou sur l’expression du culte.
Pour ce qui est du culte, il explique être un des défenseurs de la loi de 1905 sur la laïcité mais « beaucoup l’utilisent pour éviter qu’il y aie une expression cultuelle d’une autre religion que celle qui pourrait être la religion chrétienne ».
En ce sens, la discrimination constitue selon lui un vrai problème car « on est dans un moment de bascule sur le plan social et économique ». Dans ce contexte de changement, il explique que « nous Français et Marocains appréhendons l’avenir autour de trois éléments. Le premier est économique car une des premières locomotives en terme de création d’entreprises dans les métropoles est la communauté Franco-marocaine. Le deuxième est culturel, le cinéma, le livre, le théâtre et le troisième est le politique ».
En tant que franco-marocain, il « avoue ne pas beaucoup utiliser le mot diversité car il nous assigne à une différence assimilationiste. Je ne suis pas plus différent que François Hollande ou Emmanuel Marcon, l’un vient de Picardie, l’autre de Corrèze et moi de Seine-Saint Denis avec chacun une histoire qui est la sienne ».
« Quand j’ai été élu pour la première fois en 1995, je ne voulais pas être appelé l’élu des jeunes non plus mais un jeune élu car la première constituait une assignation à résidence intellectuel ». Il exprime en ce sens s’être inspiré par Ahmed Aboutaleb : « il a été un exemple pour nous car on nous disait qu’on ne pouvait pas y arriver mais il était là pour nous dire le contraire ».
Il appelle la jeunesse franco-marocaine à être fière de sa double culture, « notre rôle est d’assumer à 100% la richesse qu’on apporte pour des pays comme la France, la Hollande ou la Belgique et de prendre conscience de la force du Maroc au-delà du Maroc », a-t-il conclu.
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