A l’occasion de la commémoration en 2024 du soixantième anniversaire de la signature de la convention de main d’œuvre de 1964 entre le Maroc et la Belgique, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) a organisé, jeudi 24 avril 2025 au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat, une table-ronde sous le thème « Maroc – Belgique : histoire, migrations et commémorations ».  Fatiha Saïdi, coordinatrice de l’ouvrage J’ai deux amours, Hassan Bousetta, ancien sénateur et auteur du livre Entre deux rives, Ahmed Medhoune, homme politique et coordinateur avec Fatima Zibouh, Andrea Rea et Christophe Sokal du livre Belgica Biladi, Mohamed Ikoubaân, coordinateur de l’ouvrage Moussem Belgica, et Michèle Desmottes, éditrice, ont participé à cette rencontre animée par le journaliste Amine Boushaba. 

La Convention de main-d’œuvre entre la Belgique et le Maroc, signée le 17 février 1964, est un accord bilatéral qui organise le recrutement et l’emploi de travailleurs marocains en Belgique. Elle a été mise en place pour répondre à une pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs industriels belges (houillère, métallurgique, construction, textile) et au vieillissement de la population wallonne. 

Cet accord a structuré l’immigration marocaine en Belgique, faisant des Marocains une des principales communautés immigrées du pays. En 2024, cet accord a fêté ses 60 ans, avec des initiatives pour commémorer et penser l’avenir de cette coopération.

Intervenant à cette table-ronde Fatiha Saïdi affirme que le livre J’ai deux amours est l’expression du refus de l’injonction du choix et l’affirmation d’assumer la double appartenance que l’on veut exprimer lors de cette célébration du soixantième anniversaire de la signature de la convention de main d’œuvre de 1964 entre le Maroc et la Belgique. 

« Il y a plutôt une synthèse à faire et une harmonie à voir dans cette relation », affirme-t-elle, ajoutant que ce livre a permis d’exposer cet amas que l’ont fait les Belgo-marocains qui se définit par la richesse des identités et des spécificités.    

Dans son intervention, Ahmed Medhoune affirme que la commémoration des relations belgo-marocaines suscite « le devoir de mémoire s’impose à nous, première et deuxième génération d’immigrés, ces obligés de l’histoire qui tentent de lutter contre l’oubli ». Il définit l’histoire comme « une accumulation de dettes que nous devons à toutes et tous ». 

En ce sens, il se rappelle le sens de l’affiliation familiale mais aussi sociétale, en l’occurrence dans une société individualiste, car, « à travers les générations, le lien se défait ». Le message qu’il veut transmettre est que « nous sommes des enfants de la complexité qui combinons nos identités et nos appartenances autrement, mais cela vient après ma définition en tant qu’être humain ».

Dès la photo de couverture du livre Belgica Biladi : une histoire belgo-marocaine, on voit une femme âgée de la première génération des Marocains de Belgique et une jeune femme, de la troisième et quatrième génération, ensemble. Chacune exprime son identité dans cet ouvrage qui met à l’honneur ces femmes qui étaient invisibles pendant toute l’histoire de l’immigration et donne la voix aux plus jeunes, qui ne « veulent pas être enfermés dans ce qu’ils ne sont pas ».  

Dans Entre deux rives. Belgique-Maroc. Histoires parallèles, destins croisés, Hassan Bousetta a rassemblé archives et récits qui témoignent de la densité et de la profondeur des relations belgo-marocaines dont, « paradoxalement, la mémoire a retenu très peu ».

Les chercheurs qui ont réalisé cet ouvrage sont partis de l’idée de « déterrer la convention de main d’œuvre de 1964 entre le Maroc et la Belgique qui justifiait notre présence, pour le travail ».  La lecture de cette convention en 2024 revêt une prise de conscience de la dimension de la circulation qui donne lieu à une présence des Marocains en Belgique et des Belges au Maroc depuis le Moyen Âge, avec « la circulation des savants et érudits, comme pour les érudits de Louvain à l’Université Al Quaraouiyine à Fès, pour les commerçants ou pour les militaires ». 

Quant à la méthode, « c’est un livre avec une grande profondeur historique mais ce n’est pas un livre d’historiens. Il a été réalisé par des sociologues et des politologues qui s’intéressent à ce que l’histoire peut donner comme matériaux pour la construction de la mémoire ».  

Participant à la réalisation de l’ouvrage Entre deux rives. Belgique-Maroc. Histoires parallèles, destins croisés, Michèle Desmottes relate d’autres types de migration que celle économique et de travail. « Il y a des migrations par amour, des migrations par curiosité et des migrations scientifiques » qui ne sont pas beaucoup présentes dans les récits d’histoire entre les deux pays. Elle se rappelle à cet effet la découverte du livre d’Andrée Colin, Traces belges au Maroc, qui fait découvrir de manière originale la présence constante des Belges au Maroc depuis le 13e siècle à aujourd’hui.  

Dans ce travail de mémoire, elle explique être confrontée à des frustrations. « Quand je discute avec des Belgo-belges qui ne connaissent pas beaucoup le Maroc, ils ne se rendent pas compte que le Maroc des années 60 ou 70 où il y avait un certain déséquilibre entre les deux pays ça n’existe plus ». Elle avait donc envie de corriger cette idée reçue par des anecdotes de vie ou par des récits historiques qui sont repris dans ce livre.

Pour Mohamed Ikoubaân, juriste, parti du Maroc à l’âge de 26 ans, le discours du racisme biologique européen qui partait de l’incompatibilité de l’immigré, en l’occurrence maghrébin, avec les valeurs européennes, était choquant dès son arrivée. « Cette période était caractérisée par une absence totale de cette histoire et de cette population dans les musées ou les théâtres ».

Avec Moussem Belgica – Histoires Transnationales, il met en avant l’importance de la culture en tant que ciment de toute identité. « L’idée même d’un Moussem en Belgique avait pour objectif de faire connaître la culture marocaine, devenue une partie de l’histoire belge, mais aussi de valoriser la nouvelle élite belgo-marocaine dans laquelle il y avait des médecins, des avocats, des écrivains, etc., produit du brassage entre les deux cultures ». 

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