Les mouvements migratoires ont été au centre d’une table ronde organisée, mardi à Montréal, avec la participation d’une pléiade d’experts avec focus sur les enjeux et défis liés à l’immigration.
Intervenant lors de cette rencontre, Samira Belyazid, représentante aux questions d’équité, de diversité et d’inclusion à l’Association internationale d’étude des littératures et cultures de l’espace francophone, a mis l’accent sur le discours médiatique francophone au Canada concernant les questions inhérentes à l’immigration.
Mme Belyazid, qui est également professeure à l’université canadienne de Moncton, a relevé une amplification lors des deux dernières décennies de discours sur la place publique stigmatisant les immigrants. Cette situation a exacerbé les stéréotypes sur l’immigration et impacté également les politiques publiques en matière d’immigration, a-t-elle affirmé lors de cette rencontre organisée par le Centre culturel marocain (Dar Al Maghrib) en collaboration avec le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger.
Ce traitement médiatique a eu un effet « néfaste » sur les politiques publiques et les actes des individus, a souligné Mme Belyazid, qui a relevé une hausse des actes violents visant les migrants musulmans. Il est donc fondamental de revoir le traitement médiatique et d’agir en amont pour prévenir la violence et renforcer le vivre-ensemble, a affirmé l’intervenante, qui a appelé à une plus grande implication des immigrants musulmans aux débats publics ainsi que sur la scène médiatique.
Pour sa part, Toufik Ftaita, anthropologue et professeur à l’université française Côte d’Azur, est revenu sur l’histoire de l’immigration maghrébine en France, notant que l’Hexagone a connu deux grandes vagues d’immigrants.
La première a débuté après la 2ème guerre mondiale quand la France a fait appel à la main d’œuvre maghrébine, tandis que la deuxième a eu lieu dans les années 1970 avec l’immigration par regroupement familial dans le contexte de la crise pétrolière et économique, a-t-il rappelé. Ces mouvements migratoires ont aussi posé des problématiques concernant le logement, la scolarisation des enfants et l’absence de prise en charge, a noté M. Ftaita.
Quant à Samira Elatia, professeure titulaire et vice-doyenne à l’université canadienne de l’Alberta, elle a mis en lumière le problème de la langue pour certains migrants, qui entrave leur intégration et leur ascension professionnelle. Il s’agit d’un problème récurrent particulièrement dans l’ouest canadien où les travailleurs qualifiés doivent apprendre l’anglais, a relevé Mme Elatia, ajoutant que le problème de la langue conduit à l’isolation des immigrés.
De son côté, Mostafa Gamal, enseignant à l’université écossaise Queen Margaret a affirmé que l’histoire du Royaume-Uni a toujours été marquée par des vagues successives de migrants venus des quatre coins du monde. M. Gamal est revenu aussi sur l’idée de « l’échec » du multiculturalisme au Royaume-Uni véhiculée par certains politiciens influents sous l’effet d’une rhétorique politicienne qui estime que le déclin culturel est la conséquence du multiculturalisme et du « dénigrement des valeurs britanniques ».
Ce discours a conduit à une hausse des discours anti-immigration, une augmentation des actes racistes et une montée de l’extrême droite, a-t-il relevé.
Pour sa part, Ahmed Legrouri, ancien doyen et vice-président académique à l’université Al Akhawayn, s’est focalisé sur l’immigration des étudiants, qui, a-t-il dit, contribue au développement du capital humain et au transfert du savoir. La présence d’étudiants étrangers constitue une forme de soft power ayant un impact sur les politiques publiques, a souligné M. Legrouri, mettant en avant l’importance de la présence accrue des Marocains au sein d’instances et d’institutions internationales de renom.
Il a aussi souligné le rôle important de l’éducation et de la formation dans la lutte contre la pauvreté et la promotion du développement économique. La mobilité des étudiants contribue aussi au renforcement des échanges et à la construction de sociétés plus pacifiques, a-t-il ajouté. Toutefois, ce phénomène soulève avec insistance la problématique de la fuite des cerveaux, a noté M. Legrouri, qui a mis l’accent sur la nécessité d’assurer les conditions idoines pour préserver les compétences et encourager les immigrants à revenir à leur pays d’origine.
De son côté, la directrice de Dar Al-Maghrib, Houda Zemmouri,a relevé que les migrations ne peuvent plus être perçues uniquement sous le prisme sécuritaire ou économique, ajoutant qu’elles doivent être pensées dans toute leur complexité, avec un regard transversal, ancré dans les droits humains, la coopération internationale et la valeur ajoutée que représente la mobilité humaine.
Le Maroc, à cet égard, a fait le choix d’une politique migratoire ambitieuse, humaniste et solidaire, a souligné Mme Zemmouri, ajoutant que sous l’impulsion de SM le Roi Mohammed VI, et fidèle à sa tradition d’hospitalité et d’ouverture, le Royaume s’est imposé comme acteur de référence aux niveaux africain et international en matière de gestion des migrations. Depuis 2013, avec l’adoption d’une nouvelle stratégie nationale d’immigration et d’asile, le Maroc a placé la question migratoire au cœur son action publique, en intégrant les dimensions humanitaire, juridique, économique, culturelle et sociale, a-t-elle expliqué.
Sa Majesté le Roi a été désigné Leader de l’Union africaine sur la question de la migration, et c’est dans cette dynamique que s’inscrit la création de l’Observatoire Africain des Migrations, basé à Rabat, qui constitue un véritable outil de veille et de coopération Sud-Sud en la matière, a rappelé Mme Zemmouri.
Quant à Hicham Tiflati, chercheur principal au Canadian Foreign Fighters relevant de l’université canadienne de Waterloo, il a axé son intervention sur la problématique de l’intégration à laquelle est confrontée la deuxième génération des immigrés au Canada. Il a, à cet égard, évoqué les problématiques de la préservation de l’identité et de la culture des pays d’origine et les liens des générations montantes avec leur pays d’origine. Il a dans ce contexte mis en avant l’importance du rôle des institutions culturelles à l’étranger.
Cette rencontre a été également marquée par les témoignages de plusieurs membres de la communauté marocaine établie au Canada, qui ont évoqué les multiples défis auxquels ils sont confrontés.