« La mosquée? Elle a toujours été là. C’est plutôt bien coté: ici, on va au Jardin des plantes, à la mosquée ou aux arènes de Lutèce », affirme Pascale, 50 ans, énumérant les hauts lieux touristiques du quartier.
A un jet de pierre du quartier latin, longtemps bastion des intellectuels parisiens, les tensions de certaines banlieues défavorisées, où vit une grande partie de la population musulmane, semblent très lointaines.
Tout comme les échanges politiques enflammés ou le grand débat lancé par le gouvernement sur l’identité nationale.
« Cette mosquée est née d’une volonté politique forte: la France a voulu rendre hommage à tous les soldats musulmans morts pendant la Première Guerre mondiale », explique Slimane Nadour, chargé de communication de la mosquée de Paris.
Le 19 octobre 1922, c’est le maréchal Hubert Lyautey, stratège militaire et figure emblématique de la colonisation française au Maroc, qui inaugure solennellement les travaux du futur Institut de la Mosquée de Paris.
« Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Ile-de-France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses », s’exclame le maréchal.
Le même jour, au nom des élus de la capitale, le conseiller de Paris Paul Fleurot salue la naissance d’un « monument commémoratif élevé à la mémoire des soldats musulmans morts pour la France ».
La mosquée est si bien insérée entre les vieux immeubles parisiens que ses riverains peinent à imaginer qu’elle occupe un hectare, avec ses salles de prière, sa bibliothèque, son salon de thé, son hammam et ses jardins à l’andalouse.
La Grande Mosquée de Paris est classée « monument historique » et n’a « jamais » enregistré de plainte de riverains, « même pendant les fêtes », assure Slimane Nadour.
Il répète que la mosquée se veut un lieu de prière, pouvant accueillir « jusqu’à 10.000 personnes », mais aussi de partage, avec l’accueil quotidien de lycéens et de touristes curieux de l’histoire de l’islam. On y croise autant de pratiquants que de touristes athées férus d’orientalisme.
Si l’historique mosquée de Paris est épargnée par la polémique helvétique, son recteur Dalil Boubakeur a souligné avoir vu dans le vote populaire suisse un « message d’inquiétude, de peur » interrogeant « la manière dont l’Islam est jugé dans les pays d’Europe », dont la France, qui compte entre 5 et 6 millions de musulmans.
Construite bien avant les grandes vagues d’immigration, la mosquée de Paris n’a bien sûr pas suscité les débats que peut parfois provoquer l’implantation d’une salle de prière dans certaines villes ou banlieues françaises.
Pour Antoine Corel, habitant du quartier de 74 ans, « l’important n’est pas le minaret mais le message qui est délivré ». Se disant « opposé à tout extrémisme religieux », ce Français d’origine argentine déplore « la stigmatisation d’une communauté ».
Une rue plus loin, Robert, 82 ans, ne serait pas favorable à la construction d' »une nouvelle mosquée » dans le quartier, mais ne voudrait « pour rien au monde » voir celle-ci disparaître.
« Il y a quelques années, j’ai revu un résistant français juif qui avait été caché à la mosquée pendant la guerre (1939-45). Ca lui avait sauvé la vie », raconte cet ancien fonctionnaire (qui préfère ne pas donner son identité complète), avant d’ajouter: « C’est ça aussi notre histoire commune. C’est des choses qu’on ne dit pas assez ».
AFP
Publié le 02.12.2009