Des universitaires et chercheurs marocains, américains, français et belges ont participé, lundi 21 avril 2025, à un séminaire sous le thème « les dynamiques de la recherche sur les migrations : vers un agenda national marocain ? », organisé par le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME) en partenariat avec l’Université Internationale de Rabat (IER), et ce dans le cadre de la 30ème édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat.
Cette rencontre, animée par le Doyen du Collège des Sciences Sociales de l’UIR, Farid Lasri, a connu les interventions du professeur à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), Aomar Boum, de la chercheuse à l’Université libre de Bruxelles, Nouria Ouali, du sociologue à l’Université d’Aix-Marseille Mustapha Miri, et de Mohammed Khachani, chercheur à l’Université Mohammed V de Rabat.
Après avoir donné un aperçu de son parcours migratoire personnel et familial, puisqu’elle est issue d’un père qui travaillait dans les mines de charbon en France et d’une mère française née en Algérie, Nouria Ouali a évoqué ses débuts au Centre de recherche en sociologie du travail, avant de décider de travailler sur les rapports du genre, et de créer avec des chercheuses marocaines en France un groupe travaillant sur les études sur les migrations sous l’angle des études féministes.
La conclusion générale de ses travaux sur les recherches migratoires est que les sciences humaines et la sociologie en particulier n’ont pas su intégrer cette approche épistémologique féministe, et qu’il y a encore des difficultés à repenser les concepts et les théories sous l’angle des rapports du genre, appelant les jeunes chercheurs à travailler sur les « rapports de force » et leurs effets sur les groupes sociaux.
Pour sa part, l’anthropologue Aomar Boum a mis en avant la thématique générale de ses travaux sur la migration, commençant par le mouvement interne des habitants des régions de Tata et Guelmim vers d’autres villes marocaines, puis sur les migrations juives au Maroc et en Afrique du Nord et les facteurs qui ont donné lieu à ces mobilités.
Travaillant actuellement sur les migrations juives et musulmanes marocaines dans les Amériques et les questions d’intégration dans des pays tels que le Canada, l’Argentine et le Brésil, il considère que « contrairement aux États-Unis, où la présence de la migration juive et musulmane marocaine demeure invisible, les migrations marocaines au Canada, qui ont commencé dans les années 1970, ont donné lieu à une présence administrative, culturelle et politique aux musulmans et aux juifs, en particulier dans les villes de Toronto et Montréal ».
Il appelle en ce sens à mener des études universitaires sur l’ethnographie de cette population, allant à sa rencontre dans les lieux de culte, mosquées et synagogues, afin établir une sorte de « digital mapping » qui permette d’une part de connaître ces populations et d’autre part de les faire communiquer entre elles.
Pour le sociologue Mustapha Miri, qui s’est d’abord spécialisé dans la sociologie politique avant de travailler que les questions migratoires, le fait que ce soit « l’état qui commande des études sociologiques sur la migration définit d’emblée leurs orientations », faisant « du migrant l’équivalent d’un problème social qu’on définit par tous les manques, manque de qualification, de ressources financières, de liens familiaux, etc. ».
Tant qu’il est issu d’un pays du sud, le migrant ne peut « être un sujet à part entière qui est en capacité d’établir des choix malgré la situation de domination dans laquelle il se retrouve, rendant sa mobilité principalement liée au besoin de survivre », contrairement « aux migrants européens qui font le choix de changer de pays pour simplement explorer ou voyager ».
Au sein de la société, les sciences sociales ont orienté l’opinion publique et l’exercice politique d’une manière qui expose la migration à la survisibilité : « aujourd’hui aucune élection ne se fait en France sans que l’immigration n’en soit l’élément central », alors que sur le plan pratique et statistique, « seuls 12% de la population mondiale ont bougé, alors que 80% sont soumis aux restrictions de la mobilité ».
Dans son intervention, Mohamed Khachani a rappelé l’expérience de la recherche sur la question de la migration au Maroc, et a mis en exergue les facteurs de l’émergence d’une « école marocaine dans la recherche sur la migration ». Cette école a été façonnée selon les mutations que la migration marocaine a connues, car « ces dernières décennies le Maroc s’est transformé d’un pays d’émigration à un pays de transit puis à un pays d’immigration ».
L’immigration marocaine s’est également transformée en un phénomène qui englobe toutes les régions du pays, faisant que la communauté marocaine à l’étranger, estimée à 6,5 millions de personnes, représente environ 15 pour cent de la population totale. Ces transformations constituent un tournant dans la gestion de la question migratoire pour l’acteur politique qui a besoin de connaissances scientifiques pour développer des politiques à même de répondre aux besoins et enjeux de cette nouvelle étape.
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