L’espace des conférences du stand commun du ministère de la jeunesse, de la culture et de la communication et du CCME a accueilli, ce vendredi 18 avril 2025, deux auteurs et chercheurs marocains des Etats-Unis qui ont relancé la publication de la revue Souffles. Ils ont discuté de cette initiative avec le fondateur même de la revue en 1966, l’écrivain, poète et traducteur Abdellatif Laabi.
Hicham Aïdi, politologue, critique musical, cinéaste et maître de conférences en relations internationales à la School of International and Public Affairs de l’université de Columbia et Zakia Salime, docteur en sociologie de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign et professeur associé d’études sur les femmes, le genre et la sexualité et de sociologie à l’Université Rutgers ont répondu aux questions de la journaliste Hanane Harrath.
Souffles est une revue culturelle et littéraire d’avant-garde fondée en 1966 à Rabat par un groupe de poètes et artistes marocains, à savoir Abdellatif Laâbi, Mostafa Nissaboury, Mohammed Khaïr-Eddine, Bernard Jakobiak, Mohammed Melehi, Hamid El Houadri et Mohammed Fatha. Ses 22 numéros en français et 8 en arabe ont marqué l’histoire intellectuelle de l’Afrique du Nord et contribué au renouvellement de la pensée au Maghreb.
Par la création de la revue, « on voulait décoloniser les esprits », explique son fondateur Abdellatif Laabi car « dans l’euphorie de l’indépendance, les politiques n’auraient pas pu penser à ce qu’allait devenir la culture marocaine ». L’enjeu était alors de pouvoir « écrire et penser à l’insu du regard du colonisateur, tout en gardant une ouverture sur l’universel ».
Pour lui, que la revue puisse être relancée par des Marocains de l’étranger est la preuve que l’esprit de sa création est toujours d’actualité ici et ailleurs. « Le monde a changé, les préoccupations aussi. Souffles est née dans un autre terroir mais l’idée qu’elle exprime est toujours la même, celle de devenir souverain de ses pensées, lâcher le modèle de l’Occident et se déterminer par rapport à sa propre culture ».
Cette lutte pour libérer les esprits a souvent incité à « se rapprocher de ceux qui défendent la même cause, on partait à la rencontre des écrivains algériens, tunisiens ou africains comme ce dossier que nous avons publié en 1969 sur les pays africains traversés par des mouvements de libération », ou encore la traduction de la poésie noire des Black Panthers afro-américains.
« Des réflexions qui nous amènent à penser que la dimension du dialogue sud-sud est toujours consacrée malgré une distance d’un demi siècle », a affirmé Abdellatif Laabi.

Une vision qui continue en effet, selon Hicham Aïdi, d’ « inspirer les nouvelles générations de chercheurs et d’écrivains comme nous-mêmes qui avons voulu par la relance de la publication de la revue Souffles inscrire le Maghreb dans les débats sud-sud ».
Pour lui, qui de par ses recherches est souvent en contact avec les populations d’Amérique latine et les mouvements pour la « décolonisation de la décolonialité » qui les traversent depuis plus de vingt ans, « Souffles a pu apporter des réponses étant l’une des premières revue tri-continentales de l’Afrique du Nord qui fait partie d’un imaginaire tiers mondiste ».
« Dès son premier numéro en 1966, on parlait de décoloniser la production de la connaissance, ce qui est encore en 2025 une urgence notamment en Afrique du Nord et au Moyen-Orient qui sont les zones les plus infiltrées par les influences coloniales ».
Quatre numéros sont déjà parus de la nouvelle version de la revue Souffles, dont le premier a présenté l’identité pluraliste du Maroc. Les numéros à venir traiteront de la question palestinienne dans la culture et la conscience marocaines, du féminisme africain ou encore de la présence de la Chine au Maghreb pour rapprocher les deux continents.
Bien d’autres numéros sont à prévoir pour « déconstruire le discours culturaliste sur le Maroc », une question qui tient à cœur à l’ethnographe Zakia Salime.
« On a voulu changer le paradigme en réaction à certains discours sur le Maroc auxquels on a pu être confronté comme par exemple celui d’un chercheur américain qui compare une tribu indienne à la population amazighe au Maroc », explique-t-elle.
Par la relance de la publication de Souffles, « nous voulons apporter notre propre voix à la question de comment sortir du culturalisme et d’un certain positionnement en produisant de nouvelles zones de théorie ».
Pour cela « on a travaillé sur deux dimensions, faire découvrir de nouveaux chercheurs marocains qui travaillent sur le sujet et veiller à ce que les écrivains marocains classiques puissent toujours être cités dans nos recherches, le tout dans un esprit d’excellence ».