Dans le cadre de sa participation à la 20ème édition du salon du livre de Casablanca, le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) a organisé une table-ronde sous le thème : "les nouvelles mutations du monde arabe, quel rôle pour les élites?".
Cette rencontre a été animée par MM. George Ishak, homme politique égyptien et fondateur du mouvement "kifaya", Ali Rashid Abdullah Al Nuaimi, directeur de l'Université des Émirats arabes unies (UAE), Rachid Aljenibi, ancien rédacteur en chef du journal "Itihad" aux UAE, Omar Azeradj, poète algérien et Mohamed Ould Abbah, professeur de philosophie à l'université de Nouakchott (Mauritanie). C'est M. Mohamed Aujjar, ancien ministre marocain chargé des droits de l'homme qui a modéré cette rencontre.
Destruction de la structure autoritaire
abdellah ouel bahSelon Mohamed Ould Abbah, les révolutions du printemps arabe ont mené à la destruction du régime ou de la structure autoritaire dans tout le monde arabe. Une destruction accompagnée du rêve de construire des sociétés idéales. Cette nouvelle structure aura soulevé, d'après Ould Abbah, trois questions essentielles : ces transformations ont-elles réellement amené à des sociétés démocratiques? Comment conserver la structure de l'Etat? Le changement culturel est-il réel et capable d'aboutir à un changement politique vers la démocratie? Les médias auront toutefois été acteurs dans ces révoltions arabes, puisque, de nos jours, affirme-t-il, l'image a plus d'impact que le savoir, précisant que les mouvements protestataires des années '80 manquaient surtout du soutien des médias, contrôlés par les régimes autoritaires arabes.
L'équation gouvernants-gouvernés
george isaacGeorge Ishak s'est intéressé dans son intervention au cas égyptien. Depuis 2004, et avec la fondation du mouvement "kifaya", les égyptiens ont pu détruire cette peur égyptienne du gouvernant et ont acquis le droit de se manifester et le celui de critiquer le chef de l'Etat. Quand au rôle des élites dans la révolution égyptienne, George Ishak pense qu'elles n'ont pas pu assumer leurs responsabilités lors de la phase de la construction post-révolution et qu'au contraire, elles ont même soutenu le régime autoritaire. L'on a assisté pendant cette période à l'émergence d'une nouvelle élite, dans les réseaux sociaux et les médias, avec un nouveau discours, une nouvelle approche. Selon George Ishak, le recours des anciennes élites aux anciennes méthodes ne peut que renforcer l'impact du discours des élites émergentes, dont la sagesse et la culture ne sont pas encore visibles mais en cours de construction.
Une élite au pouvoir limitée
ali rached naimiAli Rashid Abdullah Al Nuaimi a, quant à lui, expliqué que c'est une erreur d'évaluation de réduire les dernières révoltions arabes à la chute d'un régime politique. Il s'agit en effet de la chute d'un certain nombre de codes et d'idéologies dans une période très courte, alors que l'histoire a prouvé que le changement dans les pays arabes pouvait prendre plusieurs décennies. Selon Al Nuaimi, la notion de leadership a évolué avec la mondialisation puisque les nouvelles technologies permettent maintenant l'accès aux idéologies des élites en dehors du monde arabe. Les mécanismes de communication ont également changé : les nouvelles générations trouvent l'information sur internet, dans des textes courts et accessibles, tandis que les anciennes élites présentent l'information dans des livres philosophiques, longs avec une langue difficile d'accès. Pour conclure, M. Al Nuaimi précise que les élites de nos jours ont un impact limité sur les peuples et qu'il faudra d'abord étudier les centres d'intérêt de la jeunesse pour l'atteindre, ce qui n'est pas chose aisée.
La guerre des élites
rachid jenibiPour sa part, Rachid Aljenibi a exposé l'évolution de la notion d'élite chez les peules arabes. Il explique que dans l'imaginaire collectif arabe, fait partie de l'élite une personne puissante, aux idéologies précises, pouvant avoir un impact puissant sur les gens. Il y a quelques années, une élite libérale, laïque, tirait sa légitimité des élites et modèles occidentaux. L'échec de l'élite libérale a donné lieu à une élite religieuse, tirant cette fois sa légitimité des revendications des peuples. Cette situation, selon le journaliste, a créé ce qu'on peut appeler "la guerre des élites", l'une voulant tout prendre de la religion et l'autre voulant faire des peuples arabes des sociétés parisiennes ou londoniennes. Rachid Aljenibi s'est toutefois montré pessimiste : "dans la situation actuelle, caractérisé par le vide intellectuel, peut émerger une élite aux capacités limitées".
L'expérience du parti unique
omar azrajDans son intervention, Omar Azeradj a témoigné de son expérience avec le parti unique en Algérie, qu'il finira par quitter finira par quitter il y a 20 ans à Londres. A son retour, les dirigeants étaient les mêmes, et "les pratiques totalitaires aussi". Concluant son intervention, le poète affirme que "la démocratie se fait au prix des vies humaines qui la revendiquent".