Les transitions démocratiques en Egypte et en Tunisie dans le sillage du printemps arabe ont été au centre d'une table-ronde, organisée jeudi soir à Casablanca, à l'initiative du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), dans le cadre du 19ème Salon international de l'édition et du livre (SIEL).
L'écrivain égyptien Fahmy Howeidy et Abou Yaareb Marzouki, professeur de philosophie et ex-conseiller du chef du gouvernement tunisien chargé de la réforme éducative et culturelle, se sont ainsi retrouvés autour de cette table-ronde tenue sous le thème "Printemps arabes et transitions identitaires", pour débattre de cette question d'une brulante actualité.
Selon Fahmy Howeidy, la révolution égyptienne ne déclinait pas un projet clair pour bâtir le pays, les manifestants savaient ce qu'ils ne voulaient pas, mais ne savaient pas ce qu'ils voulaient, a-t-il dit, ajoutant que cet état de fait a impacté les phases qui ont succédé le renversement du pouvoir de Hosni Moubarak.
A l'heure où la révolution du 20 janvier fête son deuxième anniversaire, M. Howeidy pense que l'aura qui recouvrait au début la direction de l'Etat s'est vite dissipé, laissant place à un discours diffamatoire à l'encontre du président actuel, Mohamed Morsi.
Fahmy Howeidi tempère ce constat, en ajoutant qu'après des décennies de répression des libertés, le processus de maturation des comportements nécessite du temps, pour que "la diffamation évolue en critique et la liberté en responsabilité".
Si les forces politiques égyptiennes sont aujourd'hui diversifiées et éparses, elles ne font que révéler les faiblesses et les séquelles d'une longue exclusion plus au moins marquée de la gestion de l'Etat.
Vainqueurs des premières élections libres de l'histoire du pays, les Frères musulmans ne pouvaient pas échapper à cette règle. Ainsi, de par leur manque d'expérience, "ils ont commis beaucoup d'erreurs", constate l'écrivain égyptien.
La situation sécuritaire, toujours instable, s'est répercutée sur l'investissement et le tourisme, aggravant une situation économique déjà préoccupante, note Howeidy, qui évoque la main invisible de "l'Etat profond" en Egypte, dont les rouages restent imprégnés par une infiltration extérieure (américaine et israélienne) datant du temps de l'ancien régime.
Le journaliste égyptien attribue les erreurs de gestion des Frères musulmans à leur système de formation idéologique. Ils savent, dit-il, comment mobiliser les gens, et non pas comment bâtir la société.
Fahmy Howeidy croit en le rô le agissant de la société civile égyptienne, particulièrement vigilante quant à l'impératif de préservation des acquis de la révolution.
A la différence de l'Egypte, les islamistes d'Ennahda ont réussi à opérer un changement d'approche dans leur discours, qu'ils ont adapté à la notion de l'Etat moderne, estime pour sa part Abou Yaareb Marzouki.
Dans ce sens, quand la question des droits humains s'est posée avec acuité lors de l'élaboration du projet de Constitution, sous l'égide d' une majorité islamiste, il s'est avéré que la contradiction admise entre valeurs musulmanes et universelles était infondée, d'autant plus que le texte coranique contient une énumération importante de droits reconnus à l'individu , ajoute le professeur tunisien.
M. Marzouki considère que les Tunisiens étaient bien conscients que la répression et la corruption n'étaient non seulement le fait d'élites culturelles, économiques et politiques nationales, mais impliquaient également "des mafias internationales et des structures coloniales". "La révolution n'était pas seulement contre le tyran, mais contre tout un système" qui avait des connexions insoupçonnées, affirme-t-il.
En tout cas, la dynamique qui traverse le monde arabe n'est pas encore arrivée à terme, elle est plutôt évolutive, estime Abou Yaareb Marzouki. Cette une dynamique qui est à même de contribuer à une nouvelle définition de la condition de l'homme dans les pays arabes.
Somme toute, le passage vers la démocratie est difficile, tatillonne, mais "la vision est claire, et on sait où l'on va", conclut M. Marzouki.
05 avril 2013, Mustapha Sguenfle
Source : MAP