jeudi 4 juillet 2024 22:19

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Une laïcité qui accepte les différences

La France a mal à sa laïcité. Le début de la crise date de 1989 ; en effet, c'est cette année que l'affaire des foulards de Creil éclata. Celle-ci se termina par l'exclusion de leur collège de trois élèves musulmanes. De fait, le principal du collège avait estimé que le foulard musulman était contraire aux valeurs de la laïcité.

Le milieu scolaire

Pourtant, saisi à ce propos par le ministre de l'Éducation nationale, le Conseil d'État avait rendu (le 27 novembre 1989) un avis favorable dans lequel il estimait que « le port par un élève d'un signe manifestant ses convictions religieuses ne peut être considéré en lui-même contraire au principe de laïcité. » Dit autrement, le Conseil d'État affirmait que le respect de la laïcité française ne s'oppose pas au droit des élèves d'exprimer leurs croyances religieuses au sein des établissements scolaires.

Les défenseurs de la laïcité stricte ne pouvaient se satisfaire de cette décision. Ainsi, une Commission présidée par Bernard Stasi fut constituée en 2003. Celle-ci proposa l'interdiction des tenues et signes religieux dans les établissements scolaires. En 2004, la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques fut votée à l'Assemblée nationale. Selon la loi, « le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa, ou une croix de taille manifestement excessive » sont interdits dans les établissements scolaires. Ce que le Conseil d'État permettait, le législateur l'interdit.

Les agents publics

La situation est différent pour les agents publics qui sont appelés à un « devoir de réserve ». Selon le Conseil d'État (3 mai 2000, Demoiselle Marteaux), « le principe de laïcité interdit aux agents publics de manifester leurs croyances religieuses au sein du service public. » C'est pour cela qu'un agent public – dans le cadre de ses fonctions – ne peut être autorisé à afficher son appartenance religieuse à l'aide d'une tenue ou d'un vêtement spécifique.

Il est important de noter que le Conseil d'État n'a pas seulement interdit les vêtements religieux (foulard, kippa...) ; plutôt, tout comportement qui permet d'identifier un agent public à une croyance religieuse est interdit. Ainsi, une casquette qui remplacerait une kippa ne pourrait être autorisée s'il est reconnu que l'individu qui la porte le fait pour des raisons religieuses.

Les entreprises privées

Récemment (19 mars 2013), la Cour de cassation a rappelé que le port de signes religieux n'est pas interdit dans les entreprises privées et qu'un règlement intérieur d'une entreprise qui les interdit est invalide et ne peut justifier le licenciement d'un(e) employé(e). Selon la Cour, « le principe de laïcité (...) n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. » Ainsi, un licenciement prononcé pour ce motif est – aux yeux de la Cour – « discriminatoire. »

Si la loi ne permet pas cette discrimination dans les entreprises privées, le Président de la République François Hollande a pourtant répondu à la décision de la Cour de cassation en disant que « la loi doit intervenir » (c'est-à-dire : être modifiée). D'autre part, le Ministre de l'intérieur Manuel Valls a regretté la décision de la Cour de cassation en considérant qu'il s'agissait d'une « mise en cause de la laïcité. »

Il est étonnant de constater que les plus hautes autorités politiques de l'État ne cherchent pas à combattre toutes les formes de discriminations, mais à modifier la loi afin que certaines deviennent autorisées. C'est cette attitude pour le moins inattendue qui est à l'origine de cette « Édition pour une laïcité ouverte. »

L'équipe de rédacteurs de cette édition défendra – chacun à sa façon – l'idée d'une laïcité qui inclut plutôt de d'exclure, qui rassemble plutôt que de pointer du doigt. La société française est multiple et la loi sur la laïcité admet le plus souvent cette réalité. Comme cela a été le cas pour les élèves, nous regrettons que des lois soient votées pour renforcer l'exclusion, au nom d'une laïcité qui a bon dos.

Lorsqu'une cour de justice attire notre attention en relevant qu'un certain comportement est discriminatoire, nous devrions protéger les victimes plutôt que de modifier la loi afin de les exclure d'une façon devenue légale. La laïcité française se spécialise de plus en plus dans ce type d'exclusions et de discriminations qu'elle couvre d'une loi pour les rendre valide.

Dans les semaines qui suivent, chaque rédacteur abordera le thème de la laïcité selon ses propres connaissances. Le point commun de notre équipe consiste à partager une même volonté : celle d'accepter les différences et de promouvoir le bien-être entre les Français et les Françaises. Je souhaite aux lecteurs et lectrices de cette édition beaucoup de plaisir !

08 avril 2013, Lucas Martin

Source : Médiapart

Google+ Google+