mardi 5 novembre 2024 19:23

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L'Amérique envisage la légalisation de millions d'immigrants illégaux

Malgré un taux de chômage encore élevé, le président américain vise la légalisation de 11 millions de sans-papiers.

Le débat sera long, mais un consensus semble émerger en faveur d'une immigration choisie.

Les États-Unis ont entamé un vaste débat sur une réforme ambitieuse des procédures d'entrée et d'accueil sur leur territoire. Ils envisagent notamment d'ouvrir la voie à la légalisation de 11 millions d'immigrants clandestins.

Bien que le taux de chômage soit toujours élevé, selon les critères américains – 7,6 % – et que la reprise économique reste hésitante, une réflexion lancée par Barack Obama a été relayée, une fois n'est pas coutume, par des élus de l'opposition. Les premiers débats viennent de commencer au Sénat, autour d'un texte présenté par le « gang des huit » – 4 élus démocrates et 4 élus républicains – qui s'inspire des grands axes défendus par le locataire de la Maison-Blanche.

Ce n'est qu'un début, mais l'Amérique semble bien engagée sur la voie d'une réforme historique, avec le soutien à la fois des organisations progressistes, de l'Église catholique et de la Silicon Valley. Autour de deux grandes lignes : l'accession à la citoyenneté pour les clandestins, et l'ouverture des frontières pour les immigrants qualifiés.

réaction du Parti républicain

Le texte de 844 pages actuellement débattu ferait sortir de l'ombre onze millions de sans-papiers, en majorité mexicains, qui vivent et travaillent aux États-Unis. Ils obtiendraient un statut légal temporaire et pourraient travailler, conduire et voyager en toute liberté – à condition d'être arrivés avant le 31 décembre 2011 dans le pays et d'y avoir résidé en continu depuis, de payer des frais d'un montant de 500 dollars (380 €) et d'éventuels arriérés d'impôts, et enfin d'avoir un casier judiciaire quasi vierge (maximum de deux délits mineurs).

Après dix ans, ces immigrés pourront ensuite déposer une demande de « carte verte », le permis de séjour permanent. Trois ans plus tard, ils pourraient demander à être naturalisés. Pour les personnes arrivées enfants sur le territoire américain, qui n'ont donc connu que l'Amérique ou presque, la procédure serait accélérée : en cinq ans, l'affaire serait bouclée.

Il y a quelques mois à peine, cette proposition aurait fait sortir de ses gonds le Parti républicain. Pour preuve, le candidat qu'il s'était choisi pour affronter Barack Obama à l'élection présidentielle de novembre dernier avait fait campagne sur le thème de « l'auto-déportation » : la meilleure politique, disait Mitt Romney, consistait à compliquer la vie des sans-papiers pour qu'ils décident de s'en aller...

Les Latinos ont voté à 71 % pour Barack Obama

On en est loin désormais. Son parti a compris que cette position dure le privait du vote d'un électorat hispanique qui pèse de plus en plus lourd. Les Latinos ont voté à 71 % pour Barack Obama en novembre, représentant près d'un électeur sur dix. Si cette tendance se poursuit, d'autres États, notamment dans l'Ouest, pourraient basculer dans le camp démocrate (comme le Nevada, gagné en 2000 et 2004 par George W. Bush, mais par Barack Obama en 2008 et 2012), fermant pour longtemps la porte de la Maison-Blanche au camp républicain.

En contrepartie de cette légalisation programmée, et pour rallier les élus plus conservateurs, le projet de réforme insiste sur la sécurisation de la frontière avec le Mexique, une ligne de 3 000 km aujourd'hui très poreuse. Un budget de 4,5 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros) sera consacré à la construction d'une double clôture par endroits et à l'achat de technologies de surveillance, y compris des drones. Un nouveau système informatique fédéral forcera par ailleurs les employeurs à vérifier que leurs salariés ont un statut légal.

Une immigration choisie, au détriment du regroupement familial

La réforme en discussion ne vise pas uniquement à résoudre le problème de l'immigration illégale : les élus américains veulent également attirer chez eux des immigrants reconnus pour leurs compétences professionnelles. Un nouveau système à points pour l'obtention de cartes vertes serait créé, fondé notamment sur le niveau d'éducation et le nombre d'années passées aux États-Unis.

Les chercheurs et les étrangers « extraordinairement » qualifiés ne seraient pas soumis aux plafonds annuels définis pour ce statut de résident permanent. Même chose pour les visas de travail dans des secteurs très qualifiés. Le nombre de visas « H-1B », accordés aux travailleurs hautement diplômés, passerait de 65 000 à 110 000 par an, voire 180 000 si la demande continuait de croître.

Les élus entendent aussi lancer un visa de trois ans, nommé « W », pour les travailleurs non qualifiés dans des secteurs en pénurie (bâtiment, etc.). La célèbre « loterie » annuelle de 55 000 cartes vertes serait, elle, supprimée, ainsi que certains types de permis de séjour accordés au titre du regroupement familial (un résident ne pourra plus faire venir un frère ou une sœur, par exemple).

Ces propositions ont été applaudies par l'Amérique high-tech. En début de semaine, le géant informatique Microsoft a apporté son soutien au projet. « Nous n'arrivons pas à recruter pour tous les emplois que nous créons », a déclaré Brad Smith, directeur juridique de l'entreprise fondée par Bill Gates, lors d'une audition devant le Sénat. Selon lui, Microsoft, IBM, Intel, Oracle et Qualcomm (télécoms) ont actuellement plus de 10 000 emplois non pourvus aux États-Unis, un chiffre en croissance.

L'Église catholique, soutien de poids à cette réforme

Une étude du gouvernement indiquait il y a peu que 51 000 diplômés en informatique sortent chaque année des universités américaines, alors que 120 000 emplois seront créés cette année dans ce secteur. Pour peser dans le débat, et contrecarrer les efforts de la droite du Parti républicain, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a annoncé il y a deux semaines le lancement d'un groupe de pression politique regroupant des grands noms de l'industrie technologique américaine.

« Pour mener le monde dans ce nouveau cadre économique, nous avons besoin des gens les plus talentueux et les plus travailleurs. Nous devons former et attirer les meilleurs », écrivait le fondateur du réseau social dans une tribune publiée par le quotidien The Washington Post. « Nous avons une drôle de politique de l'immigration pour une nation d'immigrants. Et c'est une politique inadaptée au monde d'aujourd'hui », ajoutait-il.

L'Église catholique, très en pointe aux États-Unis pour l'appui aux immigrants, est un autre soutien de poids à cette réforme. « La législation qui vient d'être introduite au Sénat aurait déjà dû être votée depuis longtemps », écrivait l'archevêque de Los Angeles, José H. Gomez, dans l'hebdomadaire catholique The Tidings, quelques jours avant le 20e anniversaire de la mort de Cesar Chavez, syndicaliste paysan et figure du militantisme hispanique, décédé le 23 avril 1993.

« La réforme de l'immigration est le test des droits civiques pour notre génération, poursuivait-il. Beaucoup de gens ne comprennent pas l'engagement de l'Église pour cette cause. Pour moi, c'est une question de droits de l'homme et de dignité humaine. Il s'agit de savoir qui nous sommes en tant que personnes et en tant que nation. » Une question qui sera au cœur des débats dans les prochains mois aux États-Unis.

25/4/2013, GILLES BIASSETTE

Source : La Croix

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