dimanche 24 novembre 2024 18:56

Les jeunes Cubains regardent vers l'étranger

Les soirs de week-end à La Havane, les jeunes branchés se retrouvent à un carrefour près du bord de mer et descendent vers le parc voisin où ils fument des cigarettes, jouent de la guitare et s'échangent des bouteilles de rhum.

Tee-shirts noirs, jeans taille basse, coiffures excentriques et tatouages sont en vogue dans ce repaire de la jeunesse cubaine au parfum un peu rebelle.

Dans un coin, la police interroge quelques fêtards trop zélés mais dans l'ensemble, elle laisse faire, contrairement aux années passées quand, à en croire un habitué, Ernesto Ramis, les agents dégageaient systématiquement la place.

Ramis, 25 ans, précise qu'on peut se procurer de la drogue, mais rien d'illégal en surface ce soir, seulement l'impression qu'être jeune aujourd'hui à Cuba est une expérience nouvelle, que ce n'est plus comme avant. "La principale différence", souligne Ramis en pointant vers le détroit de Floride, à peine visible dans l'obscurité, "c'est que tout le monde veut partir."

Ramis aborde l'un des grands problèmes du gouvernement cubain: le mécontentement des jeunes face à un système que beaucoup d'entre eux jugent incapable de leur élargir l'horizon.

Ce n'est pas un problème spécifique à l'ÂŒle des Caraïbes, qui comme nombre d'autres pays en développement, se bat pour conserver ses plus brillants éléments.

Mais Cuba est confronté à une difficulté supplémentaire, celle de côtoyer une superpuissance hostile, avec une politique d'immigration ouvertement favorable à sa population.

Bien conscient de ce problème, le gouvernement ouvre progressivement son économie étatique inspirée du modèle soviétique mise en place après la révolution de 1959.

145 KM

Des jeunes tirent parti des ces réformes en lançant leur propre affaire ou en décrochant un emploi dans un secteur privé en expansion, mais d'autres trouvent que le gouvernement ne va pas assez vite - ou assez loin - et préfèrent quitter le pays.

La plupart espèrent rejoindre les Etats-Unis, à seulement 145 km de là, sur les traces du million et demi de Cubains qui les ont précédés depuis la révolution. D'autres pays comme le Canada ou l'Espagne sont prisés, même si l'Espagne a perdu de son aura depuis la crise.

Les Etats-Unis approuvent chaque année 25.000 à 30.000 demandes de visa d'immigrant cubain. Plusieurs milliers d'autres gagnent le pays sans visa, via des pays tiers ou par la mer.

Une membre âgée du Parti communiste s'étonne que l'envie de partir soit si répandue chez les jeunes. "Malheureusement, quand vous parlez aujourd'hui à dix jeunes, neuf d'entre eux vous diront qu'ils veulent quitter Cuba. Ils ne voient pas d'avenir."

Ulisses Guilarte, chez du parti dans la province d'Artemisa, y voit la conséquence des difficultés économiques. "Ils constatent que leurs aspirations restent lointaines."

Le gouvernement revendique avec fierté la santé et l'éducation gratuites mais dans une économie grippée par l'inefficacité et l'embargo commercial américain, le salaire mensuel moyen n'excède pas l'équivalent de 20 dollars.

Les jeunes veulent des emplois mieux payés, leur propre maison, leur voiture, l'accès à internet...

"Quand j'ai eu mon diplôme et que j'ai commencé à travailler, je me suis rendue compte que l'argent que je gagnais ne suffisait pas pour fonder une famille", explique Estela Izquierdo, une programmeuse informatique de 29 ans installée avec son mari à Montréal. Il n'a pas été facile de laisser ses proches mais "je ne peux pas attendre toute ma vie. J'ai une horloge biologique, je veux des enfants", dit-elle.

Edgar Saucedo, musicien, veut lui aussi une famille mais aux Etats-Unis, pas à Cuba où il partage son domicile avec sept autres personnes. Pianiste de profession, il a un ami aux Etats-Unis qui gagne 18 dollars de l'heure comme éboueur. L'emploi lui conviendrait. "Je ferai tout ce qu'il faut. Je ne demande pas beaucoup, juste une vie normale", dit ce barbu de 33 ans.

 Duquâs pour immigrer

Les autorités ont assoupli les procédures d'émigration en janvier, ce qui a conduit selon les représentants américains à La Havane à une hausse de 10% des demandes de visa.

Les écoles de La Havane offrant des cours de langues étrangères, en particulier anglais et français, sont bondées.

Une étudiante raconte qu'elle a commencé à prendre des cours de français il y a trois ans avec 34 autres élèves, afin d'obtenir un visa au Québec. A l'exception de quatre d'entre eux, tous sont partis au Canada ou ont leur visa en poche.

"L'un des paradoxes de Cuba, c'est que sa population est éduquée mais que le pays n'a rien à lui proposer. C'est comme s'il préparait ses professionnels à émigrer", déclare Ted Henken, spécialiste de Cuba au Baruch College de New York.

"D'une certaine manière, la révolution cubaine est la meilleure chose qui soit arrivée à Miami, parce que la moitié de sa main d'oeuvre a probablement été formée à Cuba", dit-il.

Pour garder les jeunes Cubains au pays et freiner le vieillissement de la population, le président Raul Castro, 81 ans, qui a succédé en 2008 à son frère aŒné Fidel, encourage le développement du secteur privé, lequel compte aujourd'hui plus de 400.000 salariés contre 150.000 en 2010.

Alexander Perez, 29 ans, est un exemple susceptible de plaire aux autorités. Contrairement à ses collègues d'école de commerce qui ont quitté Cuba, il a emprunté de l'argent à la famille et aux amis et lancé Havana Pizza. Son enseigne ne désemplit pas.

Marisela Rey, 29 ans également, est enseignante. Elle est aussi ce que le gouvernement voudrait voir, non pas parce qu'elle a monté une entreprise, mais parce qu'elle veut une meilleure vie sans quitter son pays.

"J'aime mon pays. Je pense que ce système est idéal si nous le réparons et le reconstruisons", dit-elle. C'est un travail pour une nouvelle génération de dirigeants, ajoute-t-elle.

"Les jeunes ne peuvent pas attendre plus longtemps. Ils finiront par l'emporter."

28 avril, Jeff Franks

Source : Reuters

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