dimanche 24 novembre 2024 18:52

Aller sans retour pour le 'bled'?

Elles s'appellent Sabrina Douche et Nacera EL-Guebassi. Elles ont 25 ans et le même rêve : s'en aller ! Mais pour aller où ? Renouer avec leurs racines et s'installer au Maghreb. Elles viennent de Marseille et Dijon, elles veulent vivre à Alger et Rabat.

Nées en France, elles ne connaissent leur pays d'origine que par les « vacances estivales au bled». Elles ont fait leurs études dans l'Hexagone, ont famille et amis ici mais désirent à tout prix vivre « leur rêve africain».
Rencontre avec ces 2 jeunes femmes en quête d'une nouvelle vie de l'autre côté de la Méditerranée, un chemin à l'inverse de leurs parents.

"Africa Paradis...pourquoi pas moi?"

Sabrina est déçue. Née à Marseille, cette jeune femme dynamique de 25 ans recherche à tout prix à s'expatrier à Alger. Ses parents ne comprennent pas ce choix. Ils se sont sacrifiés pour éduquer et pousser leurs 3 enfants à faire de longues études. Son père, né à Skikda, commune à l'est d'Alger bordée par la Méditerranée, lui répète sans cesse " nous sommes arrivés sans rien, tout était à construire pour nous, nous devions fuir l'Algérie où nous crevions de faim et maintenant que nous avons une situation, que vous vous êtes français, vous voulez repartir ?" Sabrina ne veut pas froisser son père et acquiesce mais elle sait qu'elle n'a pas sa patience."La patience de la reconnaissance, je n'ai rien à prouver je suis aussi française qu'algérienne enfin sur les papiers du moins" me dit-elle.

Pratiquante, elle va tous les vendredis à la mosquée de son quartier. Elle aimerait porter le voile mais « je n'ai déjà pas de travail malgré ma licence en droit alors avec un voile ! » dit-elle. « Je veux partir car j'aimerais entre autre pouvoir vivre ma religion comme je le conçois, sans stigmatisation. J'ai vu le film Africa Paradis de Sylvestre Amoussou, qui décrit une France qui sombre dans la misère face à une Afrique unie, en développement où tout reste à faire. Ce film a été un vrai choc pour moi, je me suis dit pourquoi pas moi ? »

La France tu l'aimes et tu la quittes ?

Sabrina croyait à l'égalité des chances, attendait que l'ascenseur social se mette en marche. Elle, issue d'un quartier marseillais qui fait la une des journaux voulait avoir une certaine reconnaissance en enchaînant les diplômes. Espérait ne plus être la « rebeu de cité ». Elle voulait être «française sans étiquette ».

Elle me confie aimer la France mais me dit-elle en souriant « c'est peut-être elle qui ne m'aime pas ! »

«Je veux quitter la France par dépit, je n'ai plus d'espoir. Je ne veux pas faire dans le misérabilisme mais quand tu cumules plusieurs handicaps comme être issue des quartiers Nord de Marseille, être maghrébine et musulmane pratiquante, faut être patiente ne serait-ce que pour dénicher un job d'intérimaire ! » me dit-elle furieuse.

Pour mettre toutes les chances de son côté, elle a entamé en Mars une formation de 2 mois via le pôle-emploi et la région PACA. Le FAJE, une aide à l'insertion des jeunes diplômés qui lui permettra de trouver un emploi à l'étranger.

«J'ai vraiment l'impression d'être apatride, en France je suis une immigrée ou fille d'immigrée et en Algérie pareil. C'est très dur à vivre. Je n'arrive même pas à me projeter dans le futur, envisager sereinement l'avenir. Vivre en Algérie n'est encore qu'un projet que je dois mûrir mais ayant déjà effectué un stage de 6 mois je sais que c'est là-bas que je veux poser mes valises. Pour être une étrangère autant l'être dans le pays de mes aïeux »

Combien sont-ils à partir vivre au Maghreb, pays d'origine de leurs parents ? Tous les chiffres donnent la même tendance: ils sont de plus en plus nombreux. Au 31 décembre 2012, 98090 de nos compatriotes inscrits au registre mondial des Français établis hors de France étaient basés au Maghreb soit une évolution de 8% depuis 2007. 64,4% d'entre eux sont des doubles nationaux (Source : France Diplomatie). Il convient de rappeler que l'inscription au registre mondial n'est pas une obligation, certains ne se font pas connaître des services consulaire, de ce fait les données sont difficilement chiffrables.

Ces jeunes comme Sabrina qui partent par dépit ou par conviction religieuse, ne représentent pas tous les cas de figures. Il y a aussi à l'exemple de Nacéra ceux qui partent pour des raisons économiques.

Décembre 2012, je rencontre Nacéra, 24 ans et des rêves plein la tête. En 2010, après une licence en ressources humaines, cette Dijonnaise part s'installer à Marseille.

Elle voulait « goûter à la chaleur du Sud et voir un peu du pays » me dit-elle. Au bout d'un an, elle tourne en rond, lassée de son emploi d'assistante RH chez Adecco. Elle me confie avoir suivi ce cursus car « paraît-il le secteur des ressources humaines ne connaît pas la crise et surtout pour rendre fière mon père avec mon diplôme français » dit-elle avec une pointe de gêne. « Mon père a immigré en France dans les années 60, il est cheminot et a toujours travaillé très dur, il n'a pas eu le choix.» Repartie à Dijon pour prendre son destin en main; elle entame une formation de prothésiste-styliste-ongulaire. Obtient son diplôme en 2012 avec pour ambition d'ouvrir un institut de beauté à Rabat. Entre sa formation et les stages en institut, elle fait des allers et venues au Maroc.

Elle se renseigne sur les formalités pour ouvrir un commerce et convainc son père de l'aider à financer son projet. « Un rêve que je pense plus facilement réalisable dans mon pays d'origine qu'en France car le Maroc est en plein expansion et reste pour certaines régions encore abordable. »Ses parents l'encouragent et la soutiennent dans ce projet, elle me confie qu'un jour sa mère lui a dit " je serais tellement fière de me vanter auprès de mes copines que ma dernière fille a ouvert un salon de beauté chez NOUS, au Maroc."

"Je rêve en français pas en arabe! "

Partie fin janvier dans l'espoir de trouver un local et entamer une nouvelle vie, c'est mi-Mars que je retrouves Nacera de retour définitif en France après sa tentative vaine.

« Il y'a un décalage entre les vacances et l'envie d'y vivre. Je pensais connaitre mon pays d'origine, mais la vie y est totalement différente, les codes, les habitudes, j'étais partie avec des aspirations et des idées déjà toutes faîtes mais je me suis complètement 'ratatinée'. Moi, je rêve en français pas en arabe ! Je ne perçois pas mon retour en France comme un échec, ça n'a pas fonctionné cette fois-ci mais je garde espoir... L'espoir d'entreprendre ici ou là-bas. »

Tiraillés entre l'espoir d'un avenir meilleur, les illusions de l'émigré et les souffrances de l'immigré; ces jeunes à l'instar de Sabrina et Nacéra sont tentés de s'exiler, partir là où sont leurs racines. La question qui se pose désormais est de savoir combien sont-ils à partir en quête d'un "eldorado" dans le pays d'origine de leurs parents et qui reviennent désillusionnés?

01 mai 2013, Linda Mohammedi

Source : Le Monde

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