dimanche 24 novembre 2024 18:28

Le nouveau visage féminin de la migration

Selon les dernières données disponibles, rendues publiques par la Division de la population des Nations unies en 2010, les femmes représentent aujourd'hui 49 % des plus de 214 millions de migrants internationaux dans le monde. Leur nombre dépasse même celui des hommes dans les pays développés, où elles constituent 51,5 % de la population migratoire internationale, contre 45,6 % dans les pays en voie de développement.

Babatunde Osotimehin est déterminé à ce que "les migrants soient traités comme des êtres humains, pas comme des nombres". Lors de la 46e session de la Commission de la population et du développement (CPD), qui s'est tenue pendant une semaine, fin avril, au siège de l'ONU à New York, l'ancien ministre de la santé du Nigeria était le premier à pointer du doigt le nouveau "défi" que pose à la communauté internationale la féminisation des flux migratoires, particulièrement en Amérique du Nord, en Europe, au Moyen-Orient et en Océanie. Selon le Migration Policy Institute, les Etats-Unis accueillent chaque jour 100 nouvelles femmes immigrées, contre 96 hommes. L'Afrique et le monde arabe restent toutefois des régions où les femmes ne sont pas majoritaires parmi les migrants.
Non seulement la migration à l'extérieur des frontières se féminise, mais elle rajeunit. Plus de 12 % des migrants internationaux sont des jeunes de 15 à 24 ans, souligne Babatunde Osotimehin, rappelant que ces évolutions s'inscrivent dans un contexte de migrations, internes et internationales, exponentielles. Le nombre des migrants, de pays à pays, a augmenté de 40 % au cours des vingt dernières années, celui des migrants à l'intérieur des frontières explose aussi. "D'ici à 2050, 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbaines", précise le diplomate nigérian.
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Si les femmes ont de tout temps émigré vers l'étranger, c'était pour accompagner ou rejoindre leur conjoint. Leur exil s'en trouvait du coup marginalisé et peu ou pas pris en considération. Traditionnellement, dans la représentation sociale, le migrant était un homme en quête d'un emploi ou fuyant la situation politique de son pays.
"La nouveauté aujourd'hui, ce sont ces femmes qui migrent seules à la recherche de meilleures opportunités, et non plus de manière passive pour suivre leur époux ou leurs proches dans le cadre du regroupement familial", explique Ann Pawliczko, experte de l'UNFPA. Avec la disparition progressive du modèle familial patriarcal, les femmes ont endossé le rôle de "chef de famille" et leur migration est devenue principalement une migration de travail. Leurs secteurs de prédilection ? Les services aux particuliers, l'action sociale, la santé et l'éducation.
Le profil type des femmes et jeunes filles qui migrent dépend de leur pays d'origine et des causes de leur migration. Il s'agit majoritairement de personnes cherchant à aider leur famille, fait remarquer Ann Pawliczko, qui distingue deux groupes : les jeunes célibataires subvenant aux besoins de leurs parents et les femmes mariées avec enfants, migrant pour faire face aux besoins de leur famille, tandis que leurs parents prennent soin des petits.
Selon la Banque mondiale, les envois de fonds des migrants officiellement enregistrés étaient estimés, en 2013, à 406 milliards de dollars (310 milliards d'euros). Si les femmes envoient une somme équivalente à celle envoyée par les hommes, celle-ci représente une part bien plus importante de leur salaire.
Quand elles ne migrent pas pour des raisons économiques, les femmes le font pour parfaire leur éducation. D'autres, minoritaires, fuient leur pays d'origine pour échapper à la violence ou à un conflit. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, près de 50 % des personnes réfugiées et déplacées dans le monde sont des femmes et des jeunes filles.
ACCÈS AUX CONTRACEPTIFS D'URGENCE ET À L'IVG "DANS DES CONDITIONS SÛRES"
"Cette population migratoire féminine est extrêmement vulnérable, car elle se retrouve sans papiers, ignorant la langue locale, sans accès aux services de santé ou légaux, et donc dépourvue de ses droits les plus fondamentaux", déplore Lauren Hersch, directrice de l'ONG Equality Now à New York. Elle évoque le calvaire de nombreuses femmes qui, à peine débarquées en terre étrangère, sont victimes de discrimination, d'exploitation et d'abus.
Cette ancienne procureure a fait de la lutte contre le trafic des femmes son cheval de bataille. Le commerce du sexe et l'exploitation de migrants clandestins constituent la troisième source mondiale de revenus illicites après les armes et la drogue. Près de 800 000 êtres humains, dont 80 % de femmes, sont victimes de la traite chaque année. "Ces femmes sont une proie idéale pour les trafiquants. De migrantes volontaires, elles deviennent migrantes forcées, exploitées sexuellement ou pour l'exécution de travaux domestiques", explique Lauren Hersch.
A l'issue des travaux de la 46e session de la CPD, le 26 avril, la trentaine de pays membres présents a adopté par consensus une résolution exhortant les Etats à prévenir la violence sexuelle et à répondre aux conséquences de ce fléau en fournissant, "là où de tels services sont autorisés par la législation nationale", des contraceptifs d'urgence et l'accès à une interruption volontaire de grossesse "dans des conditions sûres".
Le texte les appelle également à intensifier leurs efforts pour donner aux migrants l'accès à des services de santé sexuelle et reproductive, ainsi qu'aux services de prévention et de traitement du sida. Des dispositions trop progressistes au goût du Vatican, du Nigeria et du Qatar notamment, qui ont bataillé pour inclure un langage jugé "plus approprié".
08.05.2013, Alexandra Geneste
Source : Le Monde

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