vendredi 5 juillet 2024 00:30

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"La question de l'intégration des immigrés est assez récente en Suède"

Persuadés que leur modèle social est à la hauteur, les Suédois sont choqués par les émeutes qui secouent Stockholm depuis cinq jours, analyse Olivier Truc, correspondant du "Monde".

Uranus : On dit que ces émeutes ont débuté à la suite de la mort d'un homme de 69 ans, tué par la police. Y avait-il avant cela de la tension dans l'air ? Pouvait-on sentir venir ces émeutes ?
Olivier Truc : Il y a de la tension dans l'air parce qu'il y a eu des problèmes les années passées, ailleurs. Il y a donc un problème d'exclusion déjà ancien. La mort remonte au 13 mai, mais les problèmes sont antérieurs. Il y a des tensions dans plusieurs banlieues depuis des années.
Visiteur : Pouvez-vous expliquer l'élément déclencheur ? Un homme armé d'un couteau abattu ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Une enquête a été ouverte sur cette intervention de la police. L'homme était apparemment énervé, mais d'après les témoins de voisinage, il n'était pas dangereux. La police est intervenue parce que cet homme s'en était pris à des jeunes, il était très énervé contre eux. Les policiers ont dit qu'ils se sont sentis menacés lorsque l'homme est venu vers eux avec son couteau. Ils ont d'abord parlé de machette, mais on voit plutôt un grand couteau. On ne sait pas encore si un seul policier a tiré ou plusieurs.
Jo : Comment les Suédois réagissent-ils à la vue de ces émeutes ? Peuvent-elles avoir une influence sur la vie politique ?
Les Suédois sont choqués de ce qu'ils découvrent. Autant choqués par l'usage de la violence de la part de bandes de jeunes dans les banlieues, car ils n'ont pas de tradition de révolte de ce genre, ils sont dans une tradition de dialogue social et de consensus, que de voir des images qui montrent une police qui fait usage de violence.
Là aussi, ce n'est pas un type d'image que les Suédois sont habitués et prêts à voir. Il y a aussi un malaise car longtemps, jusqu'à ces derniers mois, ils ont considéré que ce type d'images n'appartenait pas à leur pays. C'était des images qu'on pouvait voir en France, en Grande-Bretagne. Ils vivent avec l'idée que leur modèle social est encore à la hauteur et leur évite ce type de débordements.
Aujourd'hui, le président du parti d'extrême droite Démocrates de Suède a déclaré qu'il fallait envoyer beaucoup plus de policiers sur place et immédiatement réduire massivement l'immigration en Suède. C'est ce parti qui a convoqué un débat au Parlement qui se tiendra vendredi 31 mai sur ces questions.
Emil : Les immigrés sont-ils particulièrement représentés parmi les émeutiers ?
Il y a pas mal d'immigrés parmi eux. Une personne étrangère a été inculpée jusqu'à présent, sur les cinq jours, c'est un citoyen finlandais. On ne connaît pas l'origine des autres inculpés, onze cette nuit. Mais c'est sûr qu'il y a beaucoup d'immigrés et d'enfants d'immigrés parmi les gens qui sont dans la rue, même si, parmi eux, beaucoup sont nés en Suède.
Gitano : Les photos que l'on découvre à l'occasion de ces émeutes montrent des banlieues plutôt coquettes... Quel est le problème qui se pose dans ces quartiers ?
Ce sont les mêmes problèmes qu'on retrouve à une échelle différente dans les banlieues françaises ou britanniques : ils sont liés à l'exclusion, au chômage des jeunes et à l'échec scolaire. Et au sentiment d'être dans des quartiers délaissés par les autorités.
Homer : Ces événements poussent-ils les Suédois à remettre en cause leur modèle social tant vanté ? Ou peut-être simplement leur modèle d'intégration ?
La question du modèle social est très discutée ces jours-ci. Un des constats est l'échec du modèle d'intégration suédois. Une des principales questions soulevées est celle de l'échec scolaire dans les banlieues. Un débat au Parlement a été convoqué le 31 mai pour traiter des conséquences de ces émeutes. Les questions de cette bombe à retardement que constitue la situation dans certaines banlieues seront au centre, car le constat général, qui n'est pas nouveau, est que la politique d'intégration suédoise ne fonctionne pas.
RM : Quel est le modèle suédois concernant les immigrés ? Plutôt assimilationniste comme en France, ou multiculturel comme dans les pays anglo-saxons ?
La question de l'intégration des immigrés est assez récente en Suède, car longtemps les Suédois ont considéré que les étrangers qui venaient en Suède n'y resteraient pas. La situation a changé depuis les années 1990, avec, notamment, les vagues d'immigration et de réfugiés venant de différentes régions du monde : l'ex-Yougoslavie, l'Irak, plus récemment l'Afghanistan, la Somalie, la Syrie.
Pour donner un exemple en terme de politique d'intégration, tous les étrangers nouvellement arrivés en Suède bénéficient de cours gratuits de suédois pendant un temps variable. Il y a donc de vrais efforts faits pour que les étrangers participent activement à la vie du pays. Le problème principal concerne l'accès des immigrés au marché du travail où là, il y a une véritable barrière. La barre est placée très haut.
Fabiola : Cela s'explique-t-il par des discriminations de la part des employeurs ou par d'autres raisons ?
Le nombre de jeunes de 20 à 25 ans qui ne travaillent pas ou n'étudient pas à Stockholm est de 16 % environ, et de près de 30 % à Husby. Il existe une vraie discrimination à l'embauche, connue et dénoncée depuis très longtemps. De nombreuses enquêtes ont prouvé qu'à CV égal, les Suédois à nom étranger n'étaient pas embauchés. Pourtant, le patronat en Suède pousse à une immigration, et les partis de droite y sont plutôt favorables.
Lewis : Ces émeutes sont-elles liées à la baisse des aides de l'Etat dans ces quartiers depuis quelques années pour résorber les déficits publics ?
C'est un des éléments du débat actuel, à savoir dans quelle mesure l'Etat et/ou la commune ont réduit leur présence dans certains quartiers, comme Husby. Il est admis que des services de proximité ont été fermés ces dernières années, comme la poste, des conseils communaux qui employaient plusieurs dizaines de personnes, des centres d'accueil de jeunes qui ont été déplacés.
D'autres voix disent qu'il existe malgré tout des tas de structure d'accueil. Cela montre qu'il y a une méconnaissance sur le quotidien de ces quartiers. Et on peut dire aussi qu'en règle générale, depuis le début des années 1990, où la Suède avait été frappée très durement par une crise économique et financière, les communes ont vu leurs ressources se réduire.
Arfin : On évoque beaucoup le racisme de la police suédoise... Ce racisme est-il une réalité ?
A la suite des premières interventions de la police dimanche soir, il y a eu plusieurs accusations d'habitants d'Husby qui accusaient la police d'insultes racistes, comme "nègres" ou "singes". Les responsables de la police ont déclaré que si c'était vrai, c'était inacceptable et que des poursuites seraient engagées. Jusqu'à présent aucune plainte n'a été déposée contre des insultes racistes.
Depuis le début des interventions à Husby, il y a eu beaucoup de témoignages d'habitants qui reprochent à la police l'utilisation d'une violence exagérée. Il y a eu des précédents lors des manifestations à Göteborg, il y a plusieurs années, des dérapages de la police, qui avaient suscité beaucoup de débats en Suède sur les violences policières. Ce sont des critiques qui reviennent régulièrement vis-à-vis de la police suédoise.
24.05.2013, Olivier Truc
Source : Le Monde.fr

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