vendredi 5 juillet 2024 00:26

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La Suède, un «modèle» violenté

Décryptage Les émeutes à Stockholm trahissent la montée des inégalités sociales, dont souffrent les quartiers immigrés.


Après une semaine d'affrontements entre jeunes et policiers, les banlieues suédoises ont retrouvé un calme relatif ce week-end. Encore sous le choc, les Suédois tentent désormais de comprendre ce qui a pu déclencher de telles violences. Au total, depuis le 19 mai, une centaine de voitures ont été incendiées, plusieurs écoles, bibliothèques et commissariats vandalisés et une trentaine de personnes interpellées. Un bilan négligeable, comparé aux émeutes qui ont secoué Paris en 2005 et Londres en 2011. Mais qui interpelle, dans un pays dont le modèle social continue d'être érigé en exemple à suivre, malgré les réformes libérales entreprises depuis vingt ans, qui l'ont largement écorné.
Un phénomène nouveau ?
En décembre 2008, une descente de police dans un local occupé illégalement par une cinquantaine de jeunes, qui protestaient contre la fermeture d'une salle de prière, met le feu aux poudres dans le quartier défavorisé de Rosengård, à Malmö. Jets de pierre contre les forces de l'ordre, voitures brûlées... Les heurts entre jeunes et policiers se poursuivent pendant plusieurs jours. Mais sans susciter l'effroi provoqué par les violences de ces derniers jours à Stockholm. Car Rosengård, avec ses 22 000 habitants (dont 83% nés à l'étranger ou en Suède de deux parents étrangers), son taux de chômage et son niveau de pauvreté records, incarne pour beaucoup l'échec de la politique d'intégration menée par les gouvernements successifs.
La nouveauté cette fois, c'est que les heurts ont éclaté à quelques kilomètres du centre de la capitale. Le réveil est brutal, d'autant plus que la droite, au pouvoir depuis 2006 à Stockholm, ne ménage pas ses efforts pour vendre l'image d'une ville moderne «de classe mondiale». Proche du parti social-démocrate, le journal Aftonbladet faisait cette semaine son mea-culpa : «Nous, les médias, transmettons une fausse image d'un Stockholm qui se termine à Stureplan [quartier huppé du centre-ville, ndlr]. L'image d'une population qui réussit, boit du vin blanc et prend le taxi. Du coup, la municipalité libérale n'a pas besoin de prendre ses responsabilités. Les inégalités peuvent augmenter, du moment qu'elles n'augmentent pas à Stockholm.»
Quelles sont les raisons des violences ?
A l'origine, il y a la mort d'un homme de 69 ans, tué par des policiers le 13 mai dans le quartier d'Husby. L'homme, armé, s'était retranché dans son appartement avec sa femme après avoir menacé des jeunes à l'arme blanche. Selon ses voisins, il n'était pas dangereux. Mais les policiers ont tiré. Une semaine plus tard, près de 200 habitants du quartier se sont réunis pour dénoncer les violences policières. Ils disent avoir été insultés. C'est ce qui aurait déclenché les émeutes.
Le Parti des démocrates suédois s'est empressé de dénoncer un échec de la politique d'intégration : 85% des 12 000 habitants d'Husby sont d'origine étrangère. Pour l'extrême droite, en pleine ascension dans les sondages, les heurts de ces derniers jours sont une nouvelle preuve que la Suède, qui a encore accueilli 44 000 demandeurs d'asile en 2012, doit revoir sa politique d'immigration.
Mais selon le géographe Ove Sernhede, spécialiste du développement urbain, le problème est avant tout celui de la hausse des inégalités sociales : «Alors que la richesse et le revenu disponibles ont fortement augmenté dans certaines parties de la ville au cours des deux dernières décennies, il ne s'est passé que peu de choses dans d'autres.» A Husby, par exemple, un jeune sur cinq est sans travail et non scolarisé. Associations et élus locaux dénoncent la faillite du système scolaire : 30% seulement des élèves des collèges de banlieue ont des notes suffisantes pour entrer au lycée, contre plus de 90% dans le centre de Stockholm.
Quelles conséquences politiques ?
Jusqu'à présent, le gouvernement de centre droit, au pouvoir depuis 2006, est resté étrangement silencieux. Le Premier ministre libéral, Fredrik Reinfeldt (Parti modéré), vivement critiqué pour avoir mis plus d'un jour et demi à réagir, a assuré que des efforts seraient portés dans les quartiers défavorisés «pour améliorer les résultats scolaires». Mais sans donner de détails, considérant que c'était aux habitants concernés d'intervenir pour mettre un terme aux violences.
La municipalité libérale, pour sa part, s'est évertuée à dénoncer les actes de «voyous», refusant de s'engager dans un débat sur les raisons de la frustration croissante dans les banlieues. Un mécontentement dont la droite serait pourtant largement responsable, selon la conseillère municipale du Parti de gauche Ann-Margarethe Livh : «Depuis 2006, la majorité a baissé les impôts communaux de 1 milliard de couronnes [128 millions d'euros], ce qui aurait permis d'accomplir énormément de choses dans les quartiers qui en ont besoin.»
27/5/2013, Anne-Françoise Hivert
Source : Libération

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