Avec "Ali a les yeux bleus", le jeune cinéaste italien s'attache au parcours d'un jeune Egyptien écartelé entre modernité et tradition dans l'Italie d'aujourd'hui.
Le poids de la tradition contre la nécessité de l'intégration : dans "Ali a les yeux bleus", le nouveau film de Claudio Giovannesi, le problème est posé dans toute son acuité. en suivant la révolte de Nader, un adolescent d'origine égyptienne, le réalisateur touche au coeur même du multiculturalisme qui s'impose à la société italienne. D'abord filmé sous la forme d'un documentaire (sous le titre "Fratelli d'Italia", en 2009), "Ali a les yeux bleus" est devenu docu-fition, avec les personnages authentiques jouant leurs propres rôles. Résultat : un sentiment de vérité et d'urgence, un style rapide. et un film poignant.
Le coeur du film, c'est la quête de liberté de Nader, le personnage principal. Cette liberté vous semble-t-elle plus menacée dans l'Italie de 2014 ?
Claudio Giovannesi. Je voulais raconter l'histoire d'un jeune homme dans la banlieue de Rome, à Ostie. C'est là que Pasolini a été tué, en 1975. Cet endroit est très multiculturel, et mon personnage, dans ce milieu, cherche à se forger une identité. Le problème n'est donc pas seulement la liberté. C'est aussi cette quête d'identité qui, en Italie, est un problème relativement nouveau. Notre politique d'immigration est très rétrograde. Nader, jeune Egyptien né à Rome, représente l'avenir de mon pays.
Vous avez choisi un style entre fction et documentaire. Pourquoi ?
La caméra est un témoin. elle suit les personnages comme une ombre. Tout ce que vous voyez dans le film s'est réellement produit. Je cherche à montrer la réalité quotidienne de ces garçons. Les parents de Nader, dans le film, sont ses parents dans la vie, sa fiancée est réellement sa fiancée. elle m'a forcé à la choisir car elle est jalouse, et ne voulait pas qu'il embrasse une autre fille… Les véritables protagonistes de cette histoire se sont tous prêtés au jeu avec générosité.
Votre film précédent, "La casa sulle nuvole", racontait aussi la confrontation entre deux cultures, mais sur un mode plus léger…
Le scénario a-t-il été difficile à écrire ? Comment avez-vous procédé ?
J'ai d'abord réalisé un documentaire avec Nader, dont le sujet était les enfants de la deuxième génération d'immigrés. Puis l'idée de tourner une fiction avec lui a germé : il m'a raconté qu'il avait quitté la maison de ses parents à cause de leur opposition à sa relation avec une jeune fille non musulmane. J'ai éprouvé une sympathie immédiate : imaginez-vous un garçon de 16 ans qui s'en va par amour, qui entre en confit avec ses parents et sa culture. Avec le scénariste, Filippo Gravino, nous avons écouté les histoires des amis de Nader, puis nous les avons intégrées au film.
Quels sont les cinéastes qui vous inspirent, et les films qui vous ont marqué ?
Tout d'abord, il y a la puissance et la vérité des films des frères Dardenne. Puis il y a Abdellatif Kechiche, Matteo Garrone. Il y a ce sentiment de la destinée que j'aime chez Paul Thomas Anderson, le génie et la versatilité de Gus Van Sant et de Steven Soderbergh, les visages et les gros plans de Pasolini. Mais l'un des films que j'aime le plus, auquel je pense à chaque fois que je me mets au travail, c'est "les 400 Coups".
Le cinéma italien, aujourd'hui, semble très préoccupé par les questions sociales. Vous êtes tous des enfants de Francesco Rosi ?
Rosi est un maître, mais je ne considère pas que mes films traitent de "questions sociales". Je raconte l'histoire d'un garçon qui, à travers sa quête d'identité, devient un homme. Cette histoire est celle de l'Italie contemporaine, l'Italie authentique, pas ce pays factice et politiquement correct qu'on voit à la télévision.
A la fin du film, le destin des personnages reste ouvert. Pensez-vous qu'ils auront un avenir ?
Cela n'a pas d'importance. Le film se termine quand Nader comprend que son âme est coupée en deux. Il comprend aussi ce paradoxe : il désire la liberté et l'amour, deux choses qu'il interdit formellement à sa soeur.
Sortie en salle mercredi 30 avril 2014
Par François Forestier 30 avril 2014
Source : .nouvelobs.com