Depuis près de vingt ans, les Etats membres ont harmonisé leurs politiques. Il a toutefois fallu attendre 2003 pour qu'une directive sur les normes en matière de regroupement familial soit approuvée et 2008 pour une directive « retour » sur les expulsions. De surcroît, la transcription de ces textes dans le droit de chaque Etat membre a été longue.
Pour l'asile (435 000 demandes en 2013), il a fallu trois directives (« accueil » en 2003, « qualification » en 2004 et « procédures » en 2005) pour parvenir à un semblant d'harmonisation des pratiques. L'un de ces textes a encore été révisé en 2011 et la France devrait le transposer dans un projet de loi d'ici à l'été, pour une entrée en vigueur en 2015. Au niveau des Vingt-Huit, les dernières années ont été marquées par des progrès réels avec une élévation des critères communs pour les conditions d'accueil, les recours, les procédures et le statut des personnes concernées.
Au chapitre de l'immigration régulière, la Commission a tenté de convaincre de l'intérêt pour l'Europe à s'ouvrir. Le permis unique permettant à un migrant régulier et reconnu d'être traité à l'égal des nationaux pour l'accès à la Sécurité sociale, à la santé ou au système de retraites a été approuvé. Etudiants, chercheurs, cadres ou travailleurs saisonniers pourront, à l'avenir, circuler plus facilement. Bruxelles a augmenté les moyens disponibles pour faciliter l'intégration.
DIALOGUE ET COOPÉRATION AVEC LES PAYS TIERS
Mais c'est évidemment l'immigration irrégulière qui focalise l'attention. Dans ce domaine, les divergences d'approche empêchent la mise au point d'une politique structurelle sur le long terme, qui permettrait à l'Europe d'affronter vraiment ce défi. On relève toutefois quelques progrès récents, comme le dialogue noué avec des pays du Maghreb, la Moldavie ou le Cap-Vert, ainsi que l'accord de réadmission conclu avec la Turquie. Bruxelles estime que c'est un dialogue et une coopération avec les pays tiers qui seront les clés de la gestion des flux migratoires, les Etats insistent plutôt sur le renforcement des frontières.
Depuis vingt ans, l'UE s'est dotée de nombreux outils pour renforcer ces frontières. Mais ils sont très critiqués par les défenseurs des droits des étrangers, et leur mise en place a pris du temps. L'agence de surveillance Frontex date de 2004, et certaines capitales veulent étendre son rôle à toute la Méditerranée et à l'est de l'Europe, sans toutefois accroître son budget actuel – 80 millions d'euros. Rabit, le système d'intervention rapide en cas d'« afflux massif » de migrants, a été créé en 2007.
POLITIQUE EUROPÉENNE TRÈS DÉPENDANTE DU CONTEXTE INTERNATIONAL
Il a fallu du temps, également, pour établir le fichier Eurodac, qui recense les empreintes digitales des demandeurs d'asile (2003), et le système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II, 2006), qui réunit les informations policières (mandats d'arrêt, interdictions de séjour). Le VIS, qui améliore l'échange de données sur les visas, a été mis en place en 2008.
Ces évolutions n'ont cependant pas réduit les flux migratoires. Au fil des ans, les candidats à l'immigration ont sans cesse changé de route. Des Canaries, au large de l'Espagne, ils se sont reportés vers l'île italienne de Lampedusa, puis vers la frontière gréco-turque. La construction d'un mur, en 2012, sur cette dernière, met aujourd'hui la pression sur les îles de la mer Egée.
Et il est de plus en plus évident que la politique européenne en ce domaine est très dépendante du contexte international, comme l'ont montré les guerres en Libye et en Syrie. Le trafic de vrais-faux documents a en outre explosé, et les polices européennes sont désarmées face à ce phénomène.
06.05.2014 Jean-Pierre Stroobants et Elise Vincent
Source : LE MONDE