dimanche 24 novembre 2024 19:41

Jaouad Achab, un passeport qui change tout

Depuis que le taekwondo devenu sport olympique, en 2000, aux Jeux de Sydney, une seule spécialiste belge de cet art martial coréen, à savoir Laurence Rase, a réussi à se qualifier pour les Jeux.

C’était en 2004, à Athènes, et la Montoise y avait atteint les quarts de finale, un résultat qui avait légitimement frustré cette vraie championne à l’auto-exigence bien prononcée. Douze ans plus tard, à Rio, celle qui est devenue aujourd’hui « performance director » à la Ligue flamande va peut-être remettre ça… en emmenant dans ses bagages son élément le plus prometteur, Jaouad Achab.

Le week-end dernier, à Bakou, en Azerbaïdjan, celui-ci est, en effet, devenu champion d’Europe dans la catégorie des moins de 63 kg au terme d’une journée où il a littéralement plané et a gagné des points précieux dans la course à la sélection pour les JO 2016. Quatre combats, quatre victoires, dont la dernière, en finale, face au Slovène Jure Pantar, qu’il a battu sur le score de 5-2. « C’est la deuxième fois qu’on se rencontrait, dit-il. La première, il m’avait battu au « point en or ». J’ai pris ma revanche ! »

A 21 ans, Jaouad Achab n’a pas volé cette journée de pur bonheur. Car au-delà de son talent de taekwondoiste, ce néo-Belge d’origine marocaine, naturalisé en 2013 et qui ne disputait ici que son deuxième grand championnat sous les couleurs noir-jaune-rouge après les Mondiaux 2013 où il avait déjà atteint les huitièmes de finale, en a sacrément bavé pour arriver là. Et son histoire personnelle a quelque chose de remarquable et d’exemplaire.

Né à Tanger, troisième enfant d’une famille de quatre qui, selon ses propres dires, avait du mal à nouer les deux bouts, il avait débarqué à Bruxelles en 2009, dans la foulée de son père et de sa sœur aînée, sans parler un mot de français ou de néerlandais. Un déracinement brutal qui, il est le premier à s’en rendre compte, aurait pu mal tourner s’il n’avait pas fait preuve d’une implacable force mentale.

« J’avais 17 ans et, au Maroc, où j’étais un bon élève, j’allais entrer en dernière année au lycée, raconte-t-il. Mais comme je ne comprenais pas la langue quand je suis arrivé en Belgique et que je n’avais pas de papier pour justifier une équivalence, on m’a rétrogradé en 3e professionnelle, section mécanique, alors que je n’aimais pas du tout ça. J’ai vécu ça comme une humiliation. D’un coup, on me faisait perdre quatre ans. Je me suis accroché, surtout histoire d’apprendre le français, puis, l’année suivante, j’ai changé d’orientation et opté pour l’animation sociale. »

Entre-temps, aussi, il s’était trouvé un club de taekwondo, histoire de faire fructifier les acquis qu’il avait accumulés au Maroc, où il avait décroché plusieurs titres nationaux. Le temps de se remettre dans le mouvement, il allait rapidement briller en compétition. Jusqu’à taper dans l’œil de Laurence Rase lors d’un championnat de Belgique open.

« Elle m’a contacté et m’a proposé de rejoindre son groupe d’élites de la Ligue flamande à Anvers en tant que sparring-partner de Salaheddine Bensaleh (NDLR : double champion d’Europe junior). Elle m’a dit que ça allait m’offrir des opportunités. Comme j’avais envie d’aller plus haut, j’ai accepté. Je n’avais de toute façon rien à perdre: la Ligue francophone, dont je dépendais à l’époque, n’avait jamais cru en moi. »

Pendant plusieurs mois, avec son sac de sport sur l’épaule, Jaouad Achab a joué les navetteurs en prenant le train de Bruxelles à Anvers et retour, d’abord trois fois par semaine, puis tous les jours. « C’était fatigant, mais je me suis accroché… » Et, au bout du compte, son don pour le taekwondo a fini par revenir logiquement à la surface. Jusqu’à lui permettre de changer de statut. Aujourd’hui, il est devenu l’un des leaders au sport-études, vit en kot à Wilrijk, où il n’a que la rue à traverser pour se rendre aux cours de futur animateur sportif ( en néerlandais, forcément !) avant de se rendre à pied à la salle d’entraînement située à 15 minutes de chez lui. Et son titre européen, assorti de son nouveau passeport, devrait enfin lui valoir un contrat de sportif de haut niveau de la part du Bloso, lui qui, jusqu’ici, ne voyait que ses frais remboursés.

« Je dis toujours que Karim Dighou, mon entraîneur, a réussi à faire sortir le talent qui était en moi, ce que personne n’avait vraiment fait jusque-là. Je dis aussi que Laurence Rase m’a donné la chance qui s’était toujours refusée à moi. Je ne les remercierai jamais assez. »

Depuis qu’elle a réussi à l’embrigader dans son fief anversois, Rase est ravie d’avoir eu l’œil pour déceler celui qu’elle considère comme un immense talent. « Au début, il a fallu un peu le dégrossir, explique-t-elle. Sur le plan de la diététique, également, Jaouad n’avait aucune base. Mais j’ai toujours cru en lui. Il est humble, toujours à l’écoute. Il a une très grande souplesse et une très grande agilité et son contrôle des jambes est également impressionnant. Il doit maintenant se renforcer physiquement, devenir plus athlétique en vue des Jeux. »

Habitué à « tirer » en moins de 63 kg, où, selon ses calculs, il va passer de la 6e à la 3e place mondiale après son titre européen qui lui a rapporté 40 points, Jaouad Achab va devoir, en effet, « monter » en moins de 68 kg pour Rio. Le nombre de ses athlètes étant limité aux Jeux, la Fédération internationale de taekwondo doit y réduire le nombre de catégories de poids et la sienne ne fait pas partie du programme.

« Ce ne sera pas un problème, soutient-il. Il faudra juste que je prenne un peu de muscle. J’étais 30e au ranking olympique en moins de 68 kg avant les championnats d’Europe et je devrais passer 15e suite à mon résultat de Bakou. Il me restera alors du temps pour accéder au top 6, qui permet une qualification automatique. »

La prochaine étape de sa route vers Rio se déroulera début juillet au Grand Prix de Chine, l’échéance la plus importante, l’an prochain, lors des Mondiaux de Chelyabinsk, en Russie.

« Les Jeux, j’en rêve tous les jours un peu plus au fur et à mesure que l’échéance approche », dit-il, avec du sourire dans la voix.

Parti comme il est parti, il peut s’attendre à passer de très belles nuits jusqu’en 2016…

8 mai 2014, Philippe Vande Weyer

Source : Le Soir

 

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