jeudi 4 juillet 2024 22:19

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Les partis europhobes à la conquête de l'Europe

Pour Jean-Yves Camus*, spécialiste des extrêmes droites, les partis nationalistes profitent d'une forte crise de confiance à l'égard de l'Union européenne.

Faut-il voir la montée des partis populistes, crédités d'un quart à un tiers des voix, comme un mouvement global de rejet de l'Union européenne?

« Le taux de défiance vis-à-vis de l'Union européenne (UE) et la manière dont elle fonctionne est élevé dans beaucoup de pays, mais la catégorie des eurosceptiques et des populistes est très hétérogène. Des partis comme le UKIP britannique ou le Front national français veulent sortir de l'Union, et considèrent qu'elle n'est pas réformable. D'autres partis sont plus souples, à condition de changer le schéma actuel et de redonner plus de souveraineté aux États. Aussi, les partis proviennent de matrices totalement différentes: l'Aube dorée ou le Jobbik sont clairement d'extrême droite radicale, alors que les populismes scandinaves, le UKIP ou l'Alternative pour l'Allemagne sont plus modérés. »

S'ils forment un groupe au Parlement européen, ces partis par essence nationalistes réussiront-ils à parler d'une seule voix?

« Cela a toujours été la principale difficulté de ces groupes de tendances nationalistes, comme de celui qui a existé de 1984 à 1989. Cette famille politique est beaucoup plus hétérogène que celle du Parti populaire européen (centre-droit) ou du Parti socialiste européen. Et leur problème majeur est justement qu'il s'agit de partis nationalistes, et qu'il existe entre eux des histoires politiques différentes, et même des contentieux insolubles. Entre les Belges francophones et néerlandophones, entre les Italiens et les Autrichiens, les Allemands et les Polonais... la Grande-Bretagne et le reste de l'Europe. »

Pourraient-ils influer sur le destin de l'Union?

« Leur objectif, selon Marine Le Pen, est de bloquer l'évolution de l'Union telle qu'elle est aujourd'hui. »

Qu'ont-ils finalement en commun d'autre que le rejet de l'UE?

« Ils ont en commun de considérer que la souveraineté des nations doit être en tout point supérieure à toute forme de supranationalité. Pas seulement par rapport à l'Union européenne, mais aussi à ce que Marine le Pen appelle le « mondialisme ». »

Sont-ils d'une certaine manière un produit de l'Union européenne?

« C'est un produit de la mondialisation, incontestablement. Un produit du rejet par une partie des citoyens européens de la globalisation dans ses modalités libérales: dumping social, licenciements boursiers, futur traité transatlantique, l'espace Shengen pour ses effets sur l'immigration et l'identité nationale... »

Ce sont des thèmes dont se saisit aussi l'extrême gauche, et même une gauche plus modérée. Pourquoi est-elle moins entendue?

« Cette partie des droites repose beaucoup sur la personnalisation des enjeux, avec des dirigeants charismatiques. Ensuite, l'impression qui est donnée par ces partis est qu'ils sont les seuls qui prennent à bras-le-corps la question de l'immigration et de l'identité. Peut-être que l'extrême gauche et l'extrême droite sont tous deux populistes et antieuropéens, mais quand on regarde le coeur des choses, la définition de la nation, de la citoyenneté, le rapport à l'immigration, ils sont l'exact opposé. »

Pourquoi les partis plus modérés n'ont-ils pas réussi à rassurer les citoyens européens?

« Précisément parce qu'on est arrivé à un point de questionnement des fondements mêmes de l'Union européenne, et que les sociaux-démocrates et les libéraux-conservateurs sont perçus comme étant, comme le dit souvent Marine Le Pen, les deux faces d'une même médaille. Dans la campagne de Martin Schulz, il est question d'un Smic européen, de maîtrise du capitalisme financier etc., ce qui n'est absolument pas le programme de la droite. Mais les électeurs finissent par considérer que ces différences programmatiques sont secondaires, et que l'essentiel du problème c'est rester dans l'Europe ou en sortir. »

Est-ce une poussée de fièvre ou un phénomène durable?

« L'ascension électorale du FN commence en 1984, et se poursuit aujourd'hui. Un certain nombre d'observateurs ont beau dire, avant chaque scrutin, qu'il s'agit d'un phénomène contestataire, transitoire, ça n'a jamais été le cas. Partout en Europe, ce sont des phénomènes durables. »

Qu'est-ce que cela dit de l'Europe et des citoyens européens?

« Ça dit la même chose que ce que les enquêtes d'opinion disent sur le rapport entre les citoyens et leurs gouvernants nationaux: une profonde crise de confiance. »

* Jean-Yves Camus est chercheur à l'Institut des relations internationales (Iris), spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe.

Recueilli par Mariella Esvant

Source : centre-presse

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